Hitomi Ishiguro 仁美
26 septembre 2020Kotimi コチミ
23 novembre 2020Cet endroit, c’est ma vie ces quatorze dernières années, j’ai grandi avec cette école, j’y ai tant appris en étant parent d’élèves.
Je suis japonaise d’origine, et maintenant, je ne me sens ni japonaise ni française. Pour moi, cela n’a pas d’importance, je suis tout simplement moi-même. Je suis née à Tokyo et j’ai grandi à Yokohama. Je vis en France depuis plus de vingt ans, j’ai passé en gros la moitié de ma vie ici. Je suis praticienne de Reiki, mais j’ai eu d’autres vies avant.
Ma première rencontre avec la France, j’avais dix neuf ans. Je voulais faire un voyage avant de rentrer dans la vie active, alors avec une copine, on est partie pendant un mois et demi en Europe. C’était la destination la plus lointaine, car j’étais sûre de ne plus jamais pouvoir y aller pour un séjour aussi long, une fois qu’on travaille, on n’a plus le temps. La France ne m’intéressait pas car j’avais l’image d’un pays snob. Nous avions prévu de visiter l’Italie, la Grèce, l’Angleterre, mais le seul billet d’avion abordable était pour Paris. On s’était dit «Pas grave, on dort une nuit et après on part.». Et quand nous sommes arrivées à Paris, je suis tombée amoureuse de la ville, un coup de foudre. On est restées cinq jours, en partant je me suis dit que je reviendrai ici pour y vivre.
Au Japon, j’étais une bonne petite fille sage, je venais d’être recrutée par une grande entreprise, c’était un genre de vie modèle, je pensais que c’était bien, j’étais conditionnée.
En arrivant à Paris, c’était une surprise agréable de voir qu’on ne se mêle pas des affaires des autres. J’ai découvert que chacun pouvait vivre sa vie comme il se sent. Je n’avais jamais vu cela chez moi. Je me suis dit «Il y a quelque chose qui ne va pas dans ma vie au Japon.», cela a remis en question mes certitudes, j’ai pensé qu’en France je n’aurais pas à être dans le moule, qu’il n’y aurait plus à vivre dans cette douce cage.
Une fois rentrée au Japon, j’ai fait mon premier jour dans cette entreprise. Avec tous les nouveaux, nous avons été réunis dans un théâtre, il y avait le shachō (grand patron) au loin sur la scène. C’est la seule fois que je l’ai vu. On nous disaient sous forme de blague à nous les femmes, de ne pas nous marier tout de suite, car nous former était un investissement coûteux. Etre considérée comme cela était choquant, car moi je voulais travailler toute ma vie. Je me suis dit «Il faut partir d’ici.».
Je gagnais bien ma vie, j’ai décidé d’économiser et j’en ai profité pour changer de voie. J’avais suivi les conseils de mes professeurs, étudié l’anglais pour pouvoir « être embauché dans une grande entreprise qui assure une vie tranquille » mais depuis toujours c’était les couleurs et les formes que j’aimais. Seulement, autour de moi, les couleurs et les formes, ce n’était pas des études, alors je ne m’étais même pas posé de questions.
Tout en travaillant, je suis donc allée à l’école de mode en cours du soir. Le lundi soir, il y avait à la télé l’émission Fashion-Tsushin, c’était le seul moyen pour moi de voir les collections de mode internationale.
Un jour, il y a eu un concours dans cette émission, je me suis dit «C’est pour moi !», j’ai écrit, j’ai été sélectionnée, cela m’a donné l’occasion de revenir à Paris pour faire un reportage. C’était le grand luxe, j’ai rencontré des journalistes de mode, cela m’a donné confiance et la force de m’accrocher, car je n’avais aucune formation artistique avant cela.
Après trois ans, j’ai quitté mon travail à Tokyo, j’ai passé un concours pour une école de mode à Paris, et voilà. Je ne connaissais personne ici, sauf mon mari, qui était mon copain à l’époque. On s’était rencontrés à l’Institut Franco-japonais de Tokyo, alors qu’il était coopérant au Japon. Je ne pensais pas qu’il deviendrait un jour mon mari.
A Paris, j’étais étonnée d’être si bien alors que ce n’était pas mon pays. Pourtant à l’époque, il n’y avait pas internet, le téléphone coûtait cher mais j’étais heureuse. J’ai réalisé qu’au Japon, je n’étais pas entièrement moi-même.
Mes études à Paris ont duré deux ans. A l’école, j’ai fait un stage d’interprète assistante pour Jean-Paul Goude, qui réalisait alors des publicités pour une TV japonaise. Je n’aurais jamais pu vivre cela si j’étais restée au Japon, je ne le connaissais même pas d’ailleurs. A l’époque le gouvernement français n’était pas pour accueillir trop d’étrangers, j’ai eu la chance d’avoir mon visa de travail grâce aux efforts de nombreuses personnes. Je me sens redevable pour tous ceux qui mont encouragée. Après je me suis mariée, je ne voulais pas me marier pour obtenir mon visa, je trouvais cela malsain. J’étais styliste de mode pour Christophe Lemaire. J’adorais mon travail.
Je trouve qu’ici à Paris c’est très ouvert pour peu qu’on ait la motivation, on n’est pas jugé parce qu’on est une fille, jeune, pas comme les autres, au contraire. C’est une qualité de la vie en France, je trouve. Les français sont bien comme ils sont, ils râlent certes, mais ils font comme ils veulent. Ici on aime bien le droit, mais pas l’obligation. Au Japon, c’est le contraire.
Une fois mariée, nous sommes repartis au Japon car mon mari a été muté. Ma fille est née là-bas. Je suis devenue une femme d’expatrié à la maison.
Et là, j’ai trouvé de la tolérance de la part de mes compatriotes. Avant j’étais jugée, alors qu’une fois mariée avec un étranger, j’étais déjà sortie des clous, donc c’était devenu normal de ne pas être comme eux. Du coup la douce cellule de prison était plus grande, mais elle était toujours existante.
Retour en France, à Aix en Provence. J’attendais mon fils, j’ai pris l’avion très enceinte, au septième mois. A Aix, avec deux bébés, c’était impossible de reprendre le travail, de faire des allers retours à Paris. J’étais tiraillée entre ma vie de famille et mon envie de travailler.
Et puis mon fils est tombé malade, alors qu’il n’avait que deux ans. On a passé du temps dans le service d’oncologie pédiatrique à Marseille. Ce fut une expérience traumatisante pour moi. Je n’avais jamais pensé que la vie pouvait être si fragile. Finalement, il s’est avéré que ce n’était pas trop grave. Mon fils a été opéré et nous avons pu sortir de l’hôpital. J’étais soulagée, mais en même temps je ressentais beaucoup de douleur pour les enfants et les familles qui n’avaient pas eu la même chance que nous. Je me suis dit qu’un jour, je ferai quelque chose pour remercier la vie de nous voir épargnés.
Cette épreuve a bouleversée mes valeurs de vie. C’était clair que la priorité de ma vie serait l’amour. Etre styliste, c’était pourtant mon objectif, avoir un métier qui me plaît, gagner ma vie, être indépendante, c’était mon idéal.
Ce sont mes amies qui m’ont aidé à me réveiller, à assumer mon choix de m’occuper à temps plein de mes enfants. C’est violent en France d’être femme au foyer, même si c’est un choix, on me demandait souvent pourquoi je ne travaillais pas. L’éducation de ses propres enfants est un travail très responsable et important surtout quand les langues et les cultures des parents sont différents.
Je parle japonais depuis toujours avec mes enfants, je leur donnais les cours, mais quand ma fille est rentrée au CP à Aix, elle s’est mise à me répondre en français, elle est devenue rebelle, je ne pouvais plus lui faire les leçons de japonais aussi facilement.
Au bout de cinq ans, mon mari a eu un poste en région parisienne, nous sommes arrivés ici à Saint-Germain-en Laye. Nous l’avons inscrite au lycée international (qui regroupe école maternel, primaire, collège et lycée). Dans cette école, il y a beaucoup de monde qui partage mes valeurs, il y a plein de parents étrangers.
J’ai commencé à être bénévole pour le lycée. J’ai aidé à l’organisation d’événements sportifs, à la gestion de la section japonaise à la bibliothèque, j’ai également fait du coaching pour un atelier multilingue et multiculturel. Surtout, il y a eu une inoubliable expérience de bénévolat suite au séisme de 2011 au Japon. Nous avons accueilli deux enfants chez nous. Ils avaient perdu une partie de leur famille lors du tsunami. Ils avaient à peu près le même âge que mes enfants mais ils sont passés par de douloureuses épreuves. J’ai appris un autre sens de la vie à travers eux. Nous sommes toujours en contact, ils nous montrent comment ils ont surmonté, grandi et sont devenus plus forts. J’ai découvert tout ce monde grâce au lycée international.
Alors prendre la photo devant le bâtiment, c’était une évidence. Cet endroit, c’est ma vie ces quatorze dernières années, j’ai grandi avec cette école, j’y ai tant appris en étant parent d’élèves.
Quand les enfants ont été grands, j’ai repris le travail à temps partiel pour un bureau de design, c’était compatible avec ma vie de maman. C’était important pour moi que même en travaillant je puisse avoir le temps de m’occuper de mes enfants et de continuer à m’investir dans des taches bénévoles au lycée. J’ai découvert le Reiki en parallèle, d’abord en France, puis je suis partie me former au Japon.
Quand mes enfants ont quitté le lycée, j’ai changé de travail et je suis devenue praticienne de Reiki. Je rends à la vie le cadeau qu’elle m’avait fait lorsque mon fils était sorti de l’hôpital. J’ai parfois l’impression que toutes les étapes de ma vie étaient les éléments nécessaires pour faire ce métier.
J’aimerais bien faire découvrir le vrai esprit du Reiki comme je l’ai appris au Japon. Dans le Reiki, il y a un lien avec la philosophie zen : la recherche de la paix intérieure. L’être humain, ce n’est pas que le corps, il y a un dedans. La médecine occidentale est très bien pour le corps mais seule la partie physique est soignée, la partie spirituelle jamais. Je pense que l’idéal est de faire cohabiter les traitements chimiques avec les soins spirituels et énergétiques. J’espère qu’un jour cette ouverture de l’esprit arrivera en France.
Qu’est ce qui me manque du Japon ? Je n’ai jamais pensé à cette question. Ah oui les onsen, pourquoi cela ne vient pas tout de suite !
Je ne pense pas retourner habiter un jour au Japon. J’aime mon pays, j’y vais chaque année, mais y revivre non. Pour mes enfants, je ne sais pas, ils feront comme ils voudront.
Le nom de Hiroko m’a été soufflé par une amie, elle m’a plu, je l’ai invitée.