Hiroko Bessho 別所広子
3 octobre 2020Kaya Matsuda 松田かや
12 décembre 2020La France, c’est comme si j’étais un jour tombée amoureuse et que ça continuait encore.
Je m’appelle Kotimi, je viens de Tokyo, j’y ai vécu la moitié de ma vie. L’autre moitié, c’est en France. J’adore ce pays, je suis très contente d’y vivre mais en même temps je sens que ma base, mes racines sont japonaises. La première fois que j’ai habité en France, j’étais étudiante, c’était à Paris. J’étais tellement contente d’être là que je passais mes journées dans le bus à faire le tour de la ville.
Un jour, j’ai fait un cauchemar, il fallait que je retourne au Japon. Je n’avais pas du tout le mal du pays. Mais, au bout de trois ans, une fois mes études terminées, je suis rentrée. Je suis revenue en France en 1996. Depuis, je vis toujours en région parisienne.
Je suis autrice de livres pour la jeunesse, dessinatrice et graveuse.
Quand j’avais 19 ans, une de mes meilleures amies m’a gentiment proposé de l’accompagner pour un voyage en Europe. Elle étudiait en Allemagne, et avait le projet de rejoindre l’Espagne en voiture avec sa tante. Enfant, j’étais très timide, je me collais toujours à ma mère, je ne pouvais pas dormir chez mes amies par exemple, mais là, j’ai tout de suite dit oui. Ma mère était contente que je change. Nous avons mis trois jours à traverser votre douce France. La campagne, les chemins bordés par les platanes, la vue du train, les paysages plats et doux, c’était très différent des alentours de Tokyo. Tout cela m’a marquée, j’étais impressionnée, je trouvais le pays très joli. Après j’ai voulu tout savoir sur la France.
Quand j’étais en deuxième année à l’université au Japon, j’ai choisi d’étudier la littérature française, tout ce qui concernait cette culture me plaisait. J’ai appris le français, la musique, les films, je n’étais jamais déçue, chaque fois c’était une découverte, et cela allait crescendo.
Une fois diplômée, j’ai cherché un travail en relation avec la France, ce n’était pas facile à l’époque. J’ai travaillé pour une entreprise japonaise, je l’ai quittée au bout d’un an. J’ai trouvé des petits boulots, chez un distributeur de films français, j’ai fait du bénévolat à l’ambassade de France au Japon. Puis, un jour, ils ont du avoir pitié de moi, ils m’ont proposé une bourse pour venir étudier en France. J’ai eu de la chance car j’ai pu m’installer à la cité universitaire à Paris. J’ai étudié le français à l’Institut Catholique, je me suis aussi inscrite à la Sorbonne mais je n’ai pas été assidue. Je m’étais trompée dans les inscriptions, c’était difficile quand même de suivre. Ce statut étudiant m’a permis de faire des stages, j’ai pu en faire un à l’INA.
Après je suis retournée au Japon, c’était tout de même difficile financièrement. J’avais rencontré celui qui est devenu mon mari, il étudiait le japonais, il m’a rejoint au bout de quelque mois, ça s’est fait naturellement. On ne pensait pas se marier à l’époque, et finalement nous avons convolé au Japon.
Au bout de trois ans, mon mari a réalisé que travailler avec des japonais, c’était difficile. Donc nous sommes rentrés en France, j’étais contente de revenir. Je me souviendrai toujours de mon père qui pleurait, c’était la première fois que je voyais ses larmes. Il ne m’a jamais rien interdit, c’est peut-être pour cela que j’étais touchée. Ma mère, elle, était plutôt contente pour moi. Aucun de nous trois pensait à ce moment-là que cela allait être définitif. Ils sont venus plusieurs fois me voir. Mon père est très japonais donc il ne comprenait pas pourquoi j’étais attirée par la France.
Je me sens libre ici. Au Japon, je me disais déjà « Il y a quelque chose qui ne va pas », je ne savais pas quoi. Je ne me sentais pas tout à fait à l’aise, pas dans mon assiette. Ça continue d’ailleurs quand j’y vais. Je crois que ce qui coince, c’est que la priorité c’est le corps social, c’est absurde, je n’arrive pas à comprendre. Il y a du respect entre les gens certes, mais la personne individuelle est oubliée, voire effacée. Sa vie privée n’est pas prise en compte, alors qu’en France quand il y a quelqu’un en difficulté, on a du respect pour cette personne, cela me touche.
Maintenant quand je rentre au Japon, je m’adapte. Même avec les amis, par exemple, je fais attention à ne pas dire les choses trop directement. J’essaie aussi de ne trop faire de gestes en parlant, car quand je m’exprime français, j’ai le corps et les mains qui bougent. La culture est tellement différente. Là-bas, il faut deviner, cela peut être mal vu ou blessant de dire les choses telles qu’on les pense. D’ailleurs au début que j’étais en France, on me disait souvent « Kotimi, c’est oui ou c’est non ? ».
Faire la photo dans mon atelier à Antony, c’était évident. C’est le lieu de ma création et dans ma vie actuelle, c’est une des choses les plus importantes. Je fais ce métier depuis 2016, avant j’étais enseignante de japonais. Encore avant j’ai eu des expériences très variées, toujours entre la France et le Japon. J’ai travaillé pour un couturier japonais à la communication, pour une banque japonaise, j’ai été interprète pour des écoles de boulangerie pâtisserie, j’ai aussi été vendeuse.
Depuis mon enfance je vis avec des livres illustrés, j’adore cet univers, j’en achète aujourd’hui encore pour moi. Cela me fait voyager. A la naissance de mes enfants, j’ai eu envie de faire des livres pour eux. Ils ont finalement grandi plus vite que ma création. J’ai essayé d’apprendre toute seule. J’aime beaucoup d’art brut, ce sont des gens qui n’ont eu aucun enseignement artistique donc longtemps j’ai eu peur de faire des études. Dans ma ville à Antony, il y a chaque année un concours de BD, et en 2012, ma BD de trois pages a gagné le meilleur prix. Alors mon mari m’a poussée à faire sérieusement des études, il y avait une école d’illustration à trois minutes de chez moi, j’ai eu de la chance. J’ai appris les techniques numériques, c’est indispensable.
En 2015, après deux ans d’études d’illustration et de BD, j’ai participé au concours international d’illustration de Bologne en Italie. Je n’ai pas été sélectionnée mais l’année suivante cela a marché. C’est ainsi qu’un auteur m’a contactée sur les réseaux sociaux pour me proposer une collaboration. J’avais essayé d’écrire une histoire toute seule, j’avais du mal à l’époque. Juste avant ce concours, ma mère est tombée gravement malade. Je crois que quelque chose a changé pour moi à ce moment. J’ai vraiment pensé que c’était la fin de sa vie. Bref je n’ai eu que deux semaines pour faire les cinq illustrations pour ce concours. Dans ma tête, je n’avais plus de couleurs. J’ai donc dessiné à l’encre noire, avec un minimum de couleurs. J’étais ailleurs, c’est comme si quelqu’un d’autre avait dessiné à ma place.
Mon premier livre a été publié dans la foulée, une histoire en collaboration avec cet auteur à partir de ces cinq illustrations. Comme j’avais un autre projet avec ce même auteur, l’éditeur a proposé de le faire paraître en même temps. Mon dernier livre « Momoko, une enfance japonaise » est le onzième livre publié depuis 2016.
J’aime travailler avec le hasard. C’est ce que je cherche. Laisser faire mon inconscient, comme si c’était un autre moi qui faisais. Avec le hasard, il ne faut pas réfléchir, juste essayer de s’harmoniser avec lui. Alors j’arrive à faire ce que j’ai envie de faire, en me laissant porter. J’essaie de lui faire confiance et d’accepter les choses, par exemple me dire qu’une tâche peut faire une bonne surprise. Ou pas. J’apprends à lâcher, dans la vie c’est pareil, quand on veut absolument faire quelque chose, on a du mal. Alors que si on est souple, qu’on accepte, voire qu’on s’amuse, cela peut être extraordinaire.
Je suis japonaise dans ma tête mais quand je vais au Japon, des fois j’ai des doutes. Une fois on m’a interpellée en anglais et une autre fois, une japonaise m’a dit que je parlais très bien le japonais (rire !). Je croyais que c’était une blague, je pensais qu’elle parlait à ma fille. Même mes amis japonais me disent que je ne suis plus japonaise. Moi je ne me considère pas comme française, je n’ai pas la nationalité par exemple. J’ai eu une période où je voulais rentrer au Japon, je n’avais que des collègues françaises, c’était difficile de m’intégrer, mais bon c’est passé.
Je ne repartirai pas habiter au Japon, j’éviterai au maximum. Rien que de l’imaginer je suis malheureuse. Pourtant ma famille et mes amis me manquent. Je les vois chaque année, avant c’était l’été, maintenant que mes enfants sont grands, j’évite cette période. La France, c’est comme si j’étais un jour tombée amoureuse et que ça continuait encore. Cela me permet de voir le Japon différemment. C’est mon pays natal, je ne veux pas couper le lien. C’est important pour moi que mes enfants connaissent mes racines.
Je suis fière d’être japonaise. La France je l’ai choisie pour y vivre. C’est vrai que ce n’est pas toujours facile, malgré ça, je l’aime beaucoup.
J'ai croisé Kotimi sur Facebook, son travail m’a plu, je l’ai invitée.
Découvrez le travail de Kotimi sur son site.