Yuko Takaki 高木裕子
21 février 2021Naoko Omori 大森なお子
27 mars 2021Avec l’association KANADE, nous voulons faire connaître les mélodies japonaises aux français.
Je m’appelle Eri, j’ai quarante ans. Ma passion, c’est la musique.
La première fois que je suis venue en France, c’était en 2006 pour mes études, j’ai passé deux belles années à l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne.
Je suis soprano lyrique, j’ai un master de chant lyrique, mais la musique, c’est des études pour la vie.
Je suis née à Kobe, j’ai étudié la musique classique pendant six années à l’Université des Arts de Kyōto. Il y avait un professeur spécialiste de musiques françaises, il m’a fait découvrir la mélodie et des auteurs du vingtième siècle comme Erik Satie et Francis Poulenc.
J’ai eu envie de continuer à apprendre la musique en France. J’avais atteint la limite d’âge pour le conservatoire de Paris, mais pas celui de Lyon. En fait, j’ai raté le concours.
Heureusement sur la présentation d’un professeur de l’Université de Kyōto, j’ai rencontré un co-répétiteur qui travaillait au conservatoire de Lyon. Il m’a mise en contact avec Catherine, elle était professeur à l’école de musique de Villeurbanne, j’ai pu la rencontrer une fois en France.
A Lyon, j’ai sympathisé avec une française qui parlait japonais. Un jour elle m’a invitée à une soirée étudiante chez un ami à elle, Raphaël… qui est devenu mon mari. Il parlait lui aussi japonais, toutes ses ex étaient des japonaises.
A la fin de mes études, je n’ai pas trouvé de travail dans mon domaine, alors je suis retournée dans mon pays. J’aime la musique chorale, mais il y a peu de chorales professionnelles, en France comme au Japon d’ailleurs.
Raphaël a eu l’opportunité de faire un échange au Japon, nous avons vécu quatre années à Osaka. Il a enchaîné son visa étudiant avec un visa vacances-travail, puis nous nous sommes mariés. Il est devenu professeur de français langue étrangère.
Un jour, il en a eu marre de la vie au Japon, ce que je comprenais très bien. Nous sommes allés en République Dominicaine, puis à Taiwan.
A Taiwan, je me suis éclatée. J’ai tout aimé, les gens, la nourriture, le climat, la nature. Et parce qu’étant asiatique, je ne me faisais pas remarquer, contrairement à la République Dominicaine. Je donnais des cours de chant et de piano.
Nous avons voulu partir à cause de la pollution, à la naissance de notre fils. Mon mari a trouvé du travail à Lyon, c’était en 2015. Mon fils avait cinq mois quand nous sommes rentrés en France, je voulais d’abord rester à la maison pour m’occuper de lui. Et trouver une occupation en lien avec la musique.
Finalement, j’ai rejoint Raphaël à son école, pour donner des cours de japonais. J’ai aussi monté une chorale, avec une dizaine d’élèves. J’ai aidé à créer pour des musiciens japonais des stages de français avec des cours de chant et de musique, sur six jours, à la japonaise !
Jumpei Doi a été un des premiers élèves. Il a décidé de venir vivre à Lyon ensuite.
Nous avons voulu faire de la musique ensemble, faire connaître les mélodies japonaises aux français. Avec une pianiste, Sayaka Murase (élève de français de Raphael), nous avons monté un groupe. Nous avons donné notre premier concert en 2018, nous avions privatisé un bar près de l’Opéra de Lyon et invité nos amis et connaissances. C’était plein à craquer, faut dire que l’endroit était minuscule.
Pour trois japonais, ce n’était pas simple côté organisation, mon mari est venu en renfort logistique, et un peu musical, notre amie Dina nous a aussi rejoint. Nous avons créé l’association KANADE pour pouvoir louer des salles plus facilement.
Notre idée était d’organiser quelques concerts par an, et de nous produire en privé, à la demande. Nous avons loué une salle au Goethe-Institut de Lyon où nous avons joué plusieurs fois. Nous nous sommes produits dans des restaurants japonais lyonnais, chez Okawali et au Mubyotan, aussi dans une église, et même dans le Beaujolais.
Parmi les étudiants japonais à Lyon, il y a beaucoup de musiciens, au conservatoire ou à l’école de musique. Nous avons eu envie de les faire connaître car ils sont talentueux.
En février de l’année dernière, nous avons organisé un concert avec un duo piano trompette, et malheureusement les autres dates ont été annulées. Je ne chante plus depuis un an, j’ai hâte de reprendre, peut-être cet été ?
En ce moment, je suis en congé maternité, je viens d’avoir mon deuxième fils.
Ma vie en France se passe bien. Il y a encore des petits tracas dans la vie quotidienne. Des fois c’est compliqué avec la langue, à l’hôpital par exemple, où j’ai dû me rendre seule plusieurs fois pendant ma grossesse. Quand on vit en France, il faut bien parler français dès le début, les gens ne font pas toujours l’effort d’essayer de comprendre.
A l’école de mon fils ainé, ça va bien, même si je trouve que c’est bien différent du Japon. Je ne sais jamais ce qu’il fait, je n’ai pas de programme, j’ai l’impression de manquer d’informations.
Lors de mon premier séjour en France, ce qui m’a le plus étonnée ce sont les crottes de chien dans la rue. Depuis, je regarde toujours où je mets les pieds… même si je n’ai jamais eu d’accident.
Et ce qui m’agace, c’est le manque d’amabilité des vendeurs dans les magasins, et plus encore, quand on me dit « Ce n’est pas grave » alors qu’on est fautif.
Je reste très japonaise, je ne sais pas être comme les françaises, même si je les admire car elles disent facilement ce qu’elles pensent. J’aimerais oser plus m’exprimer, je n’y arrive pas toujours. Au moins, je ne dis pas « Ce n’est pas grave » !
Quand mon premier fils était bébé, j’ai eu souvent des questions du type « Pourquoi tu ne travailles pas ? Tu fais quoi dans la journée ? ». Je trouvais cela pénible à entendre, de devoir toujours me justifier alors que c’ était mon choix. Je ne le vivais pas très bien, j’en garde encore un très mauvais souvenir quand j’y pense, comme si on m’avait accusée de ne pas faire comme tout le monde.
J’ai de bons souvenirs ici, des souvenirs de vacances en Ardèche, à Saint Malo, à la montagne.
J’aime beaucoup la nourriture française, les pâtisseries, le vin, le fromage, la crème fraîche car Raphaël est normand. Côté culture, il y a beaucoup de concerts à des prix abordables, ce qui n’est pas le cas au Japon.
Mes amis japonais et ma famille me manquent, la nourriture également, surtout le poisson cru de bonne qualité, mais depuis quelques années, on trouve de plus en plus de bons produits japonais en France.
Un jour peut-être nous repartirons, à Taiwan, ou au Brésil, c’était notre projet initial, il y a une grande communauté de japonais qui perpétue une forme de musique japonaise là-bas, ça m’intéresse.
Cela dépendra des opportunités pour mon mari, du moment qu’il est heureux, je le suis. Dans mes valises il y aura beaucoup de choses, du vin, du fromage, de la charcuterie… et des partitions de mélodies françaises.
Merci à mon amie Marie de l'association Musubi de m'avoir fait rencontrer Eri.