Fumie Kawabe 川辺文栄
10 avril 2021Yuriko Brehin-Tanaka ブレアン田中由里子
1 mai 2021Ce que j’aime en France, c’est son esprit républicain.
J’ai eu beaucoup de chance, car à mon arrivée à Paris, je suis tombée sur un groupe d’amis français fidèles à cet esprit républicain que j’aime tant en France.
J’ai eu de la chance dans ma vie en général. Aimée et élevée dans la joie, j’ai eu une enfance sans problème, même si on était dans une misère comme beaucoup à l’époque.
Je suis née juste avant l’entrée du Japon dans la seconde guerre mondiale. J’ai grandi à Zushi, un village de pêcheurs, à présent ville dortoir, près de Kamakura. Mon père, officier de marine, n’avait plus de travail après la guerre. Et ma grand-mère qui habitait avec nous n’avait plus sa pension de veuve d’un amiral.
Ma mère a alors commencé à enseigner la musique, mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre six personnes. On vendait nos objets, nos kimonos, nous allions au Mont-de-Piété.
Malgré tout, ma famille recevait des amis à table pour partager le peu que l’on avait, j’ai eu des leçons de danse et pu aller à l’université pour étudier la littérature française.
J’aimais les pièces de théâtre comme celles de Molière, Racine, Feydeau ou Giraudoux, ainsi que des romans contemporains : Roger Martin du Gard, Gide, Mauriac, Camus, etc…, même si à l’époque je lisais en japonais. A l’ouverture du pays en 1868, les Japonais étaient assoiffés de culture étrangère, on traduisait et lisait énormément d’œuvres occidentales. Dans les années cinquante quand j’étais lycéenne, on avait accès à des publications françaises très récentes, même des livres peu connus en France.
Apprendre le français, être traductrice, comédienne ou metteur en scène, c’était mon rêve.
Après l’université, j’ai travaillé à l’Institut Français de Kyoto. Grâce à cela, j’ai obtenu une bourse pour venir perfectionner mon français à Paris. Perfectionner ? Oh là, là… Beaucoup moins que ça !
Je me souviens, à mon arrivée, je ne comprenais rien à la langue, malgré mes études de plusieurs années. J’ai appris beaucoup de choses pendant ces quatre mois en France. Je ne culpabilisais plus de m’intéresser à la mode. Jusque-là je considérais que c’était pour les midinettes, et ici la mode est devenue une façon de m’exprimer. J’ai compris que je pouvais parler librement, alors qu’au Japon, on disait que je parlais trop, que je donnais toujours mon avis. En France, j’étais perçue comme réservée. Je me sentais bien.
A mon retour au Japon, j’ai décidé de divorcer, parce que j’étais déjà mariée, je trouvais idiot de m’enfermer dans une vie conjugale. J’ai croisé alors la route d’un universitaire français expatrié. Je l’ai suivi en France, c’était après mai 68.
C’était un vrai intellectuel, sa manière de vivre était très intéressante, je voulais visiter le monde avec lui. Il était professeur de philosophie, mais professeur de vie pour moi. Nous avons d’abord vécu en Grèce où nous sommes restés cinq ans et j’ai visité beaucoup de sites archéologiques. C’était passionnant. J’ai d’ailleurs traduit un livre d’André Bonnard sur la civilisation grecque : c’est le début de ma petite carrière de traductrice.
Finalement, on s’est marié, c’était plus simple pour voyager. Pourtant j’étais opposée au mariage, après mon expérience japonaise et surtout après avoir lu Simone de Beauvoir et connu le mouvement de libération des femmes.
Quand nous sommes rentrés à Paris après la Hongrie, nos routes se sont séparées.
C’était en 1981, à l’époque où François Mitterrand avait gagné les élections, c’est un beau souvenir pour moi. Le personnel de la Poste est devenu soudain beaucoup plus aimable ! Et voir que Giscard d’Estaing redevenait simple député, cela m’a émue, cette humilité après avoir été président, ainsi que ce système français qui permettait cela.
Je suis allée à l’Association Amicale des Ressortissants Japonais en France pour trouver du travail et j’ai été embauchée chez Ajinomoto qui avait une joint-venture en France dans les biotechnologies.
Et puis, j’ai rencontré un homme qui adorait les enfants. Il m’a donné envie de devenir mère.
J’ai arrêté de travailler à la naissance de mon fils. Quand on a un enfant à quarante-cinq ans, on veut lui consacrer tout son temps car on a déjà bien vécu. Ai-je beaucoup protégé mon fils ? De toutes façons, quand on est parent, on a toujours tort.
Cette fois-ci, je ne me suis pas mariée, fidèle à mes idées. J’ai élevé mon fils dans cet esprit et quelle surprise, il s’est marié très traditionnellement !
J’organise depuis 20 ans un atelier de variété française dans le cadre de l’Association Amicale des Japonais. Nous sommes un groupe de chanteurs japonais dirigés par un comédien français qui est aussi auteur de comédies musicales.
Nous donnons un concert chaque année. Au début, c’était dans une salle de 40 places, puis une salle de 70, puis 150, et maintenant à l’Auditorium Saint-Germain, avec plus de 300 places ! Le public, français et japonais, s’unit dans une sorte de communion autour de l’amour de la chanson française.
Malheureusement, il n’y a plus de répétitions depuis des mois à cause de la situation sanitaire, j’ai hâte de reprendre. Cette activité m’a permis de connaître de nombreuses chansons et j’en donne des cours à des chanteuses du Japon.
La variété française est très populaire depuis longtemps là-bas et cette passion ne s’affaiblit pas. Je pense que les chansons françaises des années 40 à 90 sont devenues classiques au même titre que Bach ou Mozart dans la musique plus savante. A la fin des cours, elles chantent pour moi, c’est très chouette.
J’anime également un club de lecture sur la littérature française, profitant de mes expériences de traductrice. J’ai trois petits groupes une fois par semaine. Grâce à Skype, on continue, malgré la crise sanitaire, à lire des livres français assidûment. Certains participent même du Japon ou d’autres pays. C’est un club international !
J’aime le sens esthétique des français. Je me rappelle ma première fois à Paris, devant la Place de la Concorde, je me suis dit « Que les français ont créé des belles choses ! ». J’étais jalouse des français. Mais maintenant, après tant d’années ici, je me surprends à me sentir tout à fait française.
Si un jour j’allais chercher un ami japonais à Roissy, je lui demanderais de fermer les yeux pendant tout le trajet. Arrivée à Place de la Concorde, je lui dirais : « Ouvre les yeux et admire ce que tu vois ! ». Comme si c’étaient mes compatriotes qui l’ont créée.
Je viens au Jardin des Plantes presque tous les jours. Je suis particulièrement attachée à ce vieux cerisier grandiose. Avec les pivoines, il représente bien le Japon dans ce parc. J’en suis très fière. Vous voyez, je me sens encore japonaise, même si j’ai pris la nationalité française en 1970. Ce qui fait que j’ai la double nationalité, elle est interdite au Japon depuis 1974. Au consulat du Japon, on m’a conseillé de choisir, et comme c’était un conseil et non une obligation, je n’ai pas choisi.
Ce qu’il me manque de mon pays ? Je réfléchis… pas la politique japonaise, le gouvernement est nul ! Ni le machisme, ni la religion, car le Dieu du Japon actuel, c’est l’argent. C’est d’ailleurs le cas dans le monde, mais plus ou moins…
Vous l’aurez compris, je ne repartirai pas habiter au Japon. En tant que femme, on est bien en France.
Le nom de Chiharu m'a été soufflé par une jeune autrice, Camille Monceaux. Merci Camille !