Akari-Lisa Ishii 石井リーサ明理
17 février 2022Hiroko Hori 堀 浩子
21 mars 2022J’ai vécu dans deux cultures extrêmes, le Japon et le Brésil, la France est le juste milieu, l’équilibre.
Je m’appelle Julia Akatsu Stoyanov, je suis pianiste et compositrice. J’ai toujours admiré la culture française, je trouve la langue très musicale même si elle est difficile à apprendre. Vivre en France me permet d’en découvrir chaque jour les nuances, c’est une expérience très riche et inspirante pour moi qui suis musicienne, car je cherche en permanence de nouvelles couleurs de musique.
Je suis née et j’ai grandi à Fukushima dans une famille de musiciens. Ma mère était une grande pianiste japonaise, elle a participé au prestigieux concours international Chopin alors qu’elle était enceinte de moi. Elle est décédée quand j’avais neuf ans. Mon père est bulgare mais il est très japonais intérieurement, peut-être plus que certains japonais. Il est chef d’orchestre, il voyage beaucoup à travers le monde. Mes parents se sont rencontrés lors d’un concert durant lequel ils avaient joué le concerto n°1 de Chopin. Ils se sont mariés en Pologne.
J’ai appris la musique avec eux, j’ai commencé le piano à trois ans. J’ai eu depuis de nombreux professeurs, pendant mes études et jusqu’à maintenant, où j’ai l’honneur d’être l’élève d’Akiko Ebi sensei. Elle avait participé au concours Chopin en même temps que ma mère. Maintenant elle est membre du jury. Je l’ai rencontrée au Japon, et par chance, elle a un pied à terre en France.
Après le lycée, je voulais voyager et visiter plein de pays, mais mon père préférait que j’aille découvrir la Bulgarie, mon deuxième pays. J'ai fait les classes préparatoires pour le conservatoire à Varna et à Sofia. Je suis restée seulement six mois car je suis rentrée plus tôt que prévu, c’était l’époque du conflit au Kosovo, il y avait des bombes perdues, c’était un peu risqué. Je suis heureuse d’avoir écouté mon père, cela a été important de me reconnecter à cette autre partie de moi.
J’avais l’impression que mon chemin en Europe s’était fermé, alors je suis partie au Brésil. J’adorais la musique brésilienne, notamment Heitor Villa-Lobos, et je voulais essayer de vivre dans un pays culturellement à l’opposé du Japon. C’était un challenge personnel. J’avais toujours été la fille de musiciens connus, je n’étais pas vraiment Julia, je voulais exister par moi-même et découvrir le monde. J’étais jeune, je n’avais pas peur. Je suis resté au Brésil huit ans, c’est ma troisième maison. Je parle portugais couramment, cela m’aide pour apprendre le français.
Enfant, j’étais venue en France avec ma famille, nous avions visité le musée du Louvre. C’était merveilleux, j’avais aimé la richesse des arts et déjà, la sonorité de la langue.
J’ai toujours eu envie d‘habiter à Paris, c’était mon rêve. Apprendre le français et la culture. C’est difficile à exprimer, je suis à moitié européenne mais cette culture est nouvelle pour moi et en même temps, je ressens de la nostalgie pour elle.
Quand j’habitais au Brésil, je m’arrêtais quelques jours à Paris sur le chemin du Japon, pour visiter la ville. J’ai essayé plusieurs fois de venir vivre en France, l’occasion ne s’est jamais vraiment présentée.
A l’hiver 2020, je suis venue à Paris pour donner des concerts, j’avais prévu d’y passer trois mois, mais la covid est arrivée et je n’ai pas pu rentrer au Japon. J’avais insisté pour maintenir ce séjour malgré le risque du virus et les réticences de ma famille.
J’ai donc passé le premier confinement dans ma famille d’accueil… où j’ai rencontré mon mari. Nous étions enfermés avec ses parents et le chat, chacun travaillait dans sa pièce. Nous avons eu le coup de foudre, un jour en ramassant un plat de légumes tombé par terre. Un beau souvenir.
Heureusement, il y avait un piano, car sans piano, je ne vis pas. J’ai joué tous les jours, beaucoup composé, et j’ai appris le français avec eux. Cette période était terrible et pour moi, il y a eu du positif, j’en suis très heureuse.
Nous nous sommes mariés l’automne suivant, et maintenant j’habite près de Paris. J’ai vécu dans deux cultures extrêmes, le Japon et le Brésil, la France est le juste milieu, l’équilibre.
Je trouve ici une forme de liberté, on n’impose rien et on respecte les choix de chacun, même avec les restrictions actuelles. C’est très différent du Brésil, où cela a été des fois difficile, trop extrême. En France, je peux fusionner le meilleur de toutes ces cultures et traditions.
Avant la crise, je donnais des récitals à travers le monde, en Europe, au Brésil, aux Etats-Unis, à Hawaï, au Japon, en Chine…
Comme je suis de Fukushima, j’y suis allée jouer plusieurs fois depuis la catastrophe, j’ai même enregistré un disque avec des morceaux que j’ai composés. Je crois en la puissance de la musique pour consoler les cœurs et encourager les gens. J’essaie de partager la musique, nous avons besoin d’elle, d’espoir et de paroles bienveillantes car la période passée a été difficile.
Pour l’instant, je compose beaucoup et j’essaie de me créer un réseau en France, de me rendre visible sur les réseaux sociaux, avec l’aide de mon mari.
J’ai quelques concerts de prévu, en France et au Japon, notamment ceux qui ont été annulés au printemps 2020. Par exemple à l’école japonaise et à la résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris.
Je pense aussi donner des cours, faire marcher le bouche à oreille. J’aimerais jouer avec d’autres musiciens, collaborer avec des musées, des compagnies de ballet, des écoles, j’aime créer avec d’autres artistes. C’est ce que je faisais avant.
Du Japon, ma famille et mes amis me manquent le plus mais je voudrais rester en France, c’est encore nouveau pour moi.
J’arrive à une période de ma vie où mon côté occidental se réveille. Le fruit de toutes mes expériences internationales, bonnes et moins bonnes, me permet de mieux m’adapter à ma nouvelle vie. Ce mélange de cultures enrichit ma musique et amplifie sa portée. Je suis en train d’apprendre une nouvelle culture, mais cela ne m’empêchera pas de porter le kimono jusqu’à ce que je devienne une grand-mère dansant sur de la samba et en chantant des chants bulgares !
Mais si un jour je devais quitter la France, j’amènerais beaucoup de choses. La liberté, la musique, la culture, l’esprit français, le respect de l’autre, et bien sûr du fromage !
https://www.tunecore.co.jp/artists/Julia-Akatsu-Stoyanov#r805592