Kumi Takahashi 高橋久美
30 mai 2022Kohei Ohata 大畑鉱平
12 juin 2022Quand j’ai eu envie d’introduire la vraie culture japonaise à l’étranger, j’ai pensé que la France était le meilleur endroit
Je suis artiste dans le domaine du textile. Quand j’étais au Japon, je faisais le tissage, la teinture et la couture pour confectionner la tenue traditionnelle japonaise, le kimono.
J’ai commencé à apprendre ces techniques et les métiers d’art à Tokyo puis à l’université de Ryukyu. Dans cette région, il y a une grande variété de savoir-faire dans le tissage, la teinture et l’artisanat en général.
Après ma formation, j’ai déménagé dans une petite île au Sud d’Okinawa, pour rencontrer des artisans, découvrir et apprendre l’artisanat local.
Il faut se rappeler qu’avant la restauration Meiji, Okinawa était un pays indépendant ; la culture y est différente des autres régions du Japon. Ça a été difficile de me faire accepter par la communauté et de nouer des relations avec les habitants. J’ai d’abord travaillé dans un champ d’ananas et de mangues pour entrer en contact avec eux. Quelques artisans m’ont initié à leurs techniques, comme faire des paniers à partir des plantes.
Après, j’ai décidé d’aller dans un petit village au Nord du Japon, dans les montagnes de Fukushima. C’est le seul endroit du pays où on cultive et travaille la ramie, une fibre qui permet de confectionner les kimonos d’été.
C’était un lieu très isolé, avec beaucoup de neige l’hiver, il n’y vit que des personnes âgées. J’ai appris à cultiver la plante mais aussi les légumes et le riz pour pouvoir me nourrir. J’y suis restée presque un an.
Grâce à mes études et à ces expériences, j’ai découvert des cultures propres à chaque région et une grande variété de savoir-faire. J’ai eu envie de les faire connaître dans mon pays et à l’étranger.
Au Japon, les artisans sont timides, ils restent dans leur région et ils ont peu de moyens de présenter la qualité de leur art au monde. La plupart sont âgés, le savoir-faire se perd. Transmettre aux jeunes générations est compliqué, car gagner sa vie comme artisan reste difficile.
J’étais venue une fois en France. Je ne me rappelle plus trop de mes impressions d’alors, je ne parlais pas français à l’époque, c’était difficile de communiquer avec les gens.
Des années plus tard, quand j’ai eu envie d’introduire la vraie culture japonaise à l’étranger, j’ai pensé que la France était le meilleur endroit. Que je pourrais être indépendante et faire ce que j’avais envie de faire, car au Japon c’est plus difficile.
Beaucoup de Japonais travaillent dans la mode à Paris, mais peu connaissent le savoir-faire des régions et peu font un métier d’art ou d’artisanat.
Je suis arrivée à Paris en 2008 et j’ai d’abord appris la langue française. En parallèle, j’ai travaillé dans un atelier de tissage dans Paris, avec une artiste française qui fabrique des tissus pour les défilés des grandes marques de mode. Au fur et à mesure, j’ai découvert la culture française, j’ai rencontré du monde, et ça m’a plu.
En 2012, j’ai sorti un livre de couture pour débutant « Sacs et rangement à la japonaise » avec une vingtaines de modèles inspirés des traditions du Japon. Il a été traduit et publié aux Etats-Unis l’année suivante.
Avec ce livre, j’ai eu beaucoup de propositions venant de musées, d’établissements culturels et d’écoles pour donner des cours et des ateliers. Alors j’ai fondé l’association franco-japonaise Talachine pour pouvoir le faire.
Je travaille avec Catherine Lavier, elle m’aide à faire les dossiers pour avoir des financements et me met en contact avec des gens très motivés.
Depuis la création de l’association en 2014, nous proposons des ateliers artisanaux et artistiques, parfois culinaires en lien avec la culture japonaise. Nous travaillons avec les collectivités locales pour présenter la culture et les savoir-faire du Japon aux Français.
Les projets pédagogiques m’intéressent car au Japon j'ai travaillé dans une école primaire.
J’anime chaque semaine des ateliers dans une école Montessori et j’interviens dans d’autres écoles parisiennes avec une initiation aux coutumes japonaises. A chaque fois, je commence par expliquer l’histoire des traditions et après on travaille. Je parle de la fête des enfants qui a lieu le cinq mai (symbolisée par les koinobori) et de Tanabata, la journée des étoiles le sept juillet.
Je travaille aussi régulièrement à la Maison de la Culture du Japon à Paris, avec un atelier de confection de nuno-zôri (des chaussons en tissus traditionnels).
J’y viens souvent alors faire la photo dans ce bâtiment m’a semblé une bonne idée.
Pour la rentrée, j’ai déposé un dossier à la Mairie de Paris pour animer des ateliers en périscolaire dans les écoles maternelles, avec des activités manuelles comme le tissage, la couture, les origamis. Notre projet vient d'être accepté.
Je m’inspire de mon pays, où les cours de couture et de cuisine sont obligatoires à partir de neuf ans, pour les filles comme pour les garçons. C’est un moyen efficace pour apprendre et pour transmettre les traditions.
J’ai beaucoup de bons souvenirs en France mais les meilleurs sont liés à ces ateliers avec les enfants. Ils sont si motivés et si curieux. A la fin, ils veulent devenir samouraï ou ninja !
Quand j’ai fondé l’association, j’ai eu besoin d‘apprendre la gestion, la comptabilité et le droit français. Pour cela, j’ai fait un master dans une école de commerce international à Paris.
En 2019, la préfecture d’Okinawa m’a demandé de l’aide. Je représente la région en France pour les activités économiques hors tourisme. Je fais des études de marché en France et en Europe, pour voir comment exporter les productions locales. Il faut négocier, coordonner les importations, organiser des pop-up ou des expositions.
Autant dire que je n'ai plus le temps pour mes créations, même si j’ai un métier à tisser chez moi.
En France, beaucoup de personnes apprécient l’initiative et le courage. Quand on est indépendant ou en association, c’est facile de travailler avec les organismes publics et les collectivités, ils sont ouverts à mes projets.
Au Japon, c’est différent, c’est mieux de travailler pour une grande entreprise, pour avoir une carte de visite. Il y a un esprit collectif plus développé mais il n’est pas associatif.
Alors pour ça, la France me va bien.
Il faut que je m’habitue aux différentes façons de communiquer ici, surtout aux personnes qui parlent très directement. Entre Japonais, on reste modeste et on met toujours les formes. J’ai dû perdre un peu de cette habitude car au Japon, on me fait des fois le reproche d’être à mon tour trop directe.
Je retourne au Japon chaque année, à Kyoto où j’ai fondé une autre association avec ma mère qui enseigne la cérémonie du thé. Nous proposons aux écoles des événements, des stages et des ateliers d’initiation autour de la cérémonie du thé, pour transmettre aux jeunes cette tradition.
Finalement, peu de choses me manquent du Japon. La nourriture bien sûr, même si on peut trouver beaucoup de choses à Paris mais ce n’est pas pareil. Et les onsen.
Pour l’instant, je suis bien en France, mais peut-être qu’un jour, je retournerai habiter dans mon pays. J’ai plein de projets pour continuer à tisser les liens entre la France et le Japon. Et comme il y a beaucoup de moyens sur place pour le faire, pourquoi pas.
Jusqu’à présent, je me suis concentrée à introduire et transmettre la culture japonaise en France. J’aimerais maintenant présenter la culture française aux Japonais. Les habitants d’Okinawa par exemple, ne connaissent pas encore ce pays. Pour cela, j’ai mon association à Kyoto, et j’ai déjà contacté le directeur de l’Institut Français pour échanger quelques idées. Une collaboration est possible, on verra.
Ce que j’amènerai de la France ? Du chocolat, car j’adore le chocolat.