Sumie Masumura 増村純恵
19 novembre 2022Tomoko Shimomura-Bensoussan 下村智子
22 janvier 2023J’aime bien le côté n’importe quoi des Français, chacun fait ce qu’il veut, ça m’amuse.
J’aime la découverte, la cuisine, la création artistique et rencontrer les gens. Je cherche toujours à faire plaisir tout en me faisant plaisir, et c’est une grande joie de voir que les autres apprécient ce que je fais.
Je suis pâtissière de wagashi, ce sont de petits gâteaux japonais que l’on sert lors de la cérémonie du thé, et plus généralement ce mot désigne les pâtisseries japonaises.
Mon mari est français, je l’ai rencontré en 2001 à Kobe, la ville d’où je viens, lors d’un événement de soutien au grand tremblement de terre de 1995. Il participait en tant qu’artiste photographe marseillais.
En essayant de lui expliquer le Japon, j’ai réalisé que je ne connaissais pas si bien mon pays. Alors je suis partie le visiter, par curiosité. J’ai voyagé pendant huit mois, de Hokkaido à Hakone puis Kanagawa, à la recherche des kyodo ryori, les spécialités culinaires régionales.
Je les ai goûtés et j’ai appris à les cuisiner, sans trop savoir ce que j’allais faire après. J’essayais de rencontrer des personnes âgées pour qu’elles me confient leurs recettes, pour qu’elles ne tombent pas dans l’oubli. Partout, j’ai été impressionnée par le nombre de gâteaux différents, chaque famille avait les siens.
Dans la préfecture de Gunma, j’ai retrouvé les plats que me cuisinait ma grand-mère comme l’okirikomi udon, un plat de nouilles mijotées, je ne savais pas qu’il venait de là. Quand j’y étais, elle m’a raconté beaucoup de ses souvenirs, même si elle avait déjà un peu perdu la tête.
J’ai été très touchée par ma visite à Tamagawa Onsen dans le Tohoku. C’est le plus grand onsen thérapeutique de la région, son eau chaude est très acide ce qui en fait une station thermale unique au monde. J’y ai vu des personnes très atteintes physiquement prier de longues heures.
En 2007, je suis venue pour la première fois en vacances à Marseille, et j’ai trouvé un travail. J’étais chargée de proposer de nouveaux plats, pour un groupe de plusieurs restaurants japonais. J’y suis restée quelques années.
Un jour, Shizue, ma professeure de cérémonie du thé, m’a proposé de faire les wagashi pour ses cérémonies. Après, Plaisir des thés à Aix en Provence et plusieurs restaurants japonais de Marseille et de la région (Okaasan, Le café japonais) m’ont demandé d’en faire pour eux. Des particuliers m’ont aussi sollicitée, le bouche à oreille a bien fonctionné et surtout mon compte Instagram Kanakana_Marseille.
C’est devenu mon métier. J’ai la chance d’avoir beaucoup de propositions, mais je suis obligée de choisir. Je cuisine avec le cœur, et les grosses quantités me rendent folle. Cela se ressent sur la qualité de mes pâtisseries, alors je préfère me limiter.
J’avais envie de faire la photo à la brûlerie Moka où je livre mes gâteaux depuis son ouverture en 2019. J’ai rencontré Iris la fondatrice lors d’une soirée apéro japonais (ryori pop) que nous organisions chaque mois avec mon mari au Lollipop Music Store, un disquaire de Marseille. Elle avait ce projet de brûlerie, nous avons sympathisé, et voilà.
Je me sens bien avec elle, elle est très positive, elle trouve toujours une solution à tout. Pendant le confinement, j’ai ainsi pu continuer à vendre mes pâtisseries à la fenêtre. Et les clients sont sympas. Tout cela me donne de l’énergie.
Chaque fois que je vais au Japon, je prends des cours particuliers pour continuer à apprendre de nouvelles recettes, que j’adapte ensuite car j’essaie d’utiliser des ingrédients produits en France comme les haricots rouges azuki et les fruits frais. Cela me permet de re-découvrir les saisons, qui sont si importantes pour nous les Japonais. Je cherche toujours des choses nouvelles, pour faire découvrir à mes clients.
En ce moment, j’essaie de me concentrer sur les nerikiri, une autre sorte de wagashi pour la cérémonie du thé. On en trouve de moins en moins au Japon. C’est à base de pâte de haricot blanc ou rouge et de riz gluant, et les formes et les couleurs changent selon les saisons. C’est long à cuisiner, je ne peux pas en faire beaucoup à la fois car je tiens à travailler à la main.
Quand je suis arrivée à Marseille, je m’étonnais que les magasins soient souvent fermés. Je m’y suis habituée, au contraire des trains et des bus qui ne sont jamais à l’heure. Ni aux gens qui se parlent mal dans la rue, aux disputes et aux cris. Pourtant, j’aime bien le côté n’importe quoi des Français, chacun fait ce qu’il veut, ça m’amuse.
Par contre, ils ont du mal à s’excuser, ils ne disent pas souvent “je suis désolé”, surtout dans les magasins, c’est toujours la faute des autres. C’est très surprenant pour un Japonais, car nous sommes à l’opposé. Et cela m’agace toujours autant.
Je trouve les gens sincères, ils disent ce qu’ils pensent, même si parfois c’est très direct. Ici, quand on dit non, c’est non. Alors que dans mon pays, on ne dit pas les choses et on ne dit jamais non.
De la France, j’aime aussi la liberté. Je peux m’habiller comme je veux, il n’y a personne pour me demander pourquoi je porte du noir. Et puis on discute beaucoup, on profite des vacances et de la vie.
Cela s’est vu ces derniers mois avec les confinements. ll y avait mille problèmes, et malgré ça, les gens ont gardé leurs habitudes. Beaucoup se moquaient du couvre-feu, des contrôles et de ce que disait le gouvernement, ils ont continué à sortir et à partir en vacances.
J’ai perdu mes manières japonaises, je suis devenue française. J’ai appris à dire non, surtout au travail, je crois que certains en ont bien profité au début mais j’ai vite compris. Quand je vais au Japon, je dois manquer de délicatesse car j’exprime maintenant ce que je veux de façon très claire.
J'ai déménagé cet été, dans une maison avec un jardin. J’ai maintenant une grande cuisine où je me sens bien pour travailler. Cela me donne l’élan pour faire plus de choses.
Avec mon mari, nous allons reprendre nos apéro japonais au Lollipop. Il y avait plein d'événements autour du Japon cet automne dans la région, dont un projet de jumelage entre les villes de Kobe et de Marseille, et d’autres sont prévus cet hiver.
A chaque fois, je fais mes pâtisseries et je rencontre du monde. Cela me permet d’avoir plus de contacts avec les gens et de mieux comprendre ce qu’ils aiment.
J’aimerais aussi retourner au Japon pour profiter de mon père.
Repartir y vivre ? Ah non (rire) ! Ou peut-être à Okinawa, car c’est différent du Japon que je connais, mais juste pour une année. Je ne pourrais plus m’adapter à la vie là-bas, car je suis devenue une vraie marseillaise.