Masami Takenouchi 竹之内雅美
9 décembre 2022Yoko Amiel アミエル陽子
18 mars 2023Il me manque peu de choses de mon pays natal, je peux vivre partout du moment que j’ai mes arcs et mes affaires de kyudo
Je suis Tomoko Shimomura-Bensoussan, je viens de Fukuoka sur l’île de Kyushu et cela fait vingt-sept ans que je suis en France. Depuis le début, je pratique le kyudo avec les Français. J’ai grandi ici grâce au kyudo et à mes amis de kyudo qui me soutiennent et m’encouragent.
Je suis venue à Aix en Provence pour une année afin d’apprendre le français. J’y ai rencontré mon mari et finalement, j’y suis restée.
Au Japon, je travaillais dans la mode. Ma société avait des bureaux à Paris et dans plusieurs villes d’Europe. J’avais pour projet d’aller à l’étranger, en Europe précisément, mais mon chef disait qu’il fallait d’abord que je passe quelques années à Tokyo.
Moi, j’avais envie de partir tout de suite. J’ai pensé qu’en parlant bien le français, j’aurais plus de chances que mes collègues qui parlaient plutôt l’anglais. De la France, je connaissais déjà Paris, je trouvais la ville très belle. Alors j’ai pris une année sabbatique pour venir étudier en France.
Après mon mariage, mes deux filles sont vite arrivées. Leur éducation m’a bien occupée pendant une dizaine d’années. J’ai continué bien sûr à pratiquer le kyudo, au Beausset, près de Bandol, chez des gens qui ne sont malheureusement plus présents aujourd’hui. C’est un beau souvenir que je garderai en moi.
Mon mari a été mon chauffeur les premiers mois, puis il a fini par se mettre lui-même au kyudo. Il faut préciser qu’il y avait des arcs et des flèches dans ma liste de mariage car depuis le début, j’avais en tête d’avoir un jour mon propre dojo.
Nous avons cherché une maison avec pour seul critère d’avoir un jardin de quarante mètres de long. Nous l’avons trouvée ici à Aix, pour nos dix ans de mariage. Après quelques travaux d’aménagement, le club d’Aix-Kyudojo a ouvert en 2014.
Je pratique le kyudo depuis mes vingt ans. C’était mon rêve d’adolescente car je trouvais la tenue très belle. Mais il n’y avait pas de club à mon lycée et je manquais de temps. Alors, en arrivant à l’université, la première chose que j’ai faîte a été de m'inscrire au club de kyudo. C’est une activité assez populaire pour les jeunes Japonais, comme la danse et le football ici. Il y a plusieurs fédérations et différentes écoles.
On dit que le kyudo est une méditation en mouvement, même s'il faut penser à plein de choses quand on tire. Faire du kyudo me remplit de joie, c’est comme une parenthèse dans la vie de tous les jours.
Quand je tire ou que je fais des démonstrations, je remercie ma famille et plein d’autres choses en dehors du kyudo. C’est un moment de gratitude qui est important pour me retrouver.
J’ai mis quinze ans pour avoir le titre de Renshi 5e Dan. Il y avait beaucoup de stress, même si je m’étais bien préparée.
J’en garde un drôle de souvenir. Pendant mes entraînements au Japon, sous le regard de mes sensei, mes flèches n’arrivaient pas à atteindre l’azuchi (nda : la butte de sable sur laquelle est posée la cible), elles tombaient par terre deux mètres devant. Après trente ans de kyudo ! Jusqu’à la veille j’ai essayé, avec toujours le même résultat.
Mais comme mon but était de continuer le kyudo jusqu'à la fin de ma vie, je me suis quand même présentée le matin à huit heures. Mon passage était programmé en fin de journée vu le nombre de participants. J’ai été malade toute la journée.
Dans l’après-midi, je me suis isolée pour faire une méditation. Et j’ai retrouvé mon kyudo. Je me suis dit “Même si je tire mal, du moment que j’ai un arc et des flèches dans la main, je suis heureuse”.
A mon passage, ayant le jury juste devant moi, j’avais très peur de lâcher la flèche. Elle est partie je ne sais comment, droite dans la cible. Mes sensei m’ont dit que c’était incroyable ! J’ai vécu la même chose au deuxième tour, j’ai lâché et j’ai réussi. Je crois que j’avais arrêté de contrôler avec ma tête.
C’est pour moi un miracle d’avoir obtenu ce titre au plus mauvais jour de ma vie de kyudoka. Depuis, je n’ai plus peur de faire des démonstrations en public. Avant, je voulais montrer à tout prix la beauté du kyudo, maintenant, j’essaie simplement de montrer mon bonheur, peu importe comment je tire.
Je veux continuer à développer le kyudo en France. J’enseigne la technique mais mon but va au-delà. A travers la pratique, j’essaie de faire en sorte qu’après chaque séance, mes élèves soient heureux pour le restant de la semaine.
La première fois que je suis venue en France, c’était en hiver, j’avais été surprise de voir le ciel si gris (nda : au Japon en hiver le ciel est toujours très bleu). J’ai compris avec le temps que c’était normal.
J’ai remarqué que les gens me disent souvent qu’ils reviendront la semaine suivante, sans que jamais je ne les revois. Je continue tout de même à les attendre en me préparant à les accueillir.
J’aime vivre ici car il y a moins de conventions qu'au Japon. J’ai entendu parler d’une dame un peu âgée qui voulait faire de la danse classique. Elle a été encouragée par son entourage alors qu’au Japon, ça aurait été tout le contraire au vu de son âge. J’ai trouvé cela magnifique.
Il me manque peu de choses de mon pays natal, je peux vivre partout du moment que j’ai mes arcs et mes affaires de kyudo. Je regrette parfois les caisses automatiques des supermarchés japonais, rapides et efficaces. Et l’absence de traiteurs autres que les camions à pizzas, pour les jours où je n’ai pas envie de faire la cuisine.
J’ai plein de bons souvenirs ici et ça continue. Le Japon est à la mode depuis une dizaine d’années, j’ai beaucoup de choses à raconter au-delà du kyudo et je le fais avec grand plaisir. Je crois que j’aime les gens, tout simplement.
Repartir au Japon ? C’est possible, même si je n’ai pas ce projet. Mes filles sont grandes et vivent ailleurs.
De temps en temps, je me demande ce que je ferai s’il me restait quelques jours à vivre. Je ne sais toujours pas trouver la réponse, mais cela me fait du bien d’y penser. Alors, j’essaie juste de ne pas regretter chaque jour qui passe.
https://www.facebook.com/aixkyudojo