Tomoko Shimomura-Bensoussan 下村智子
22 janvier 2023Maki Matsuoka 松岡真樹
24 mars 2023Le Japon est devenu trop étroit pour moi, ce que j’aime de la France, ce sont ses grands espaces avec ses champs de tournesol, ses prairies et ses espaces naturels.
Je suis une artiste japonaise, spécialiste de sumi-e (dessin à l’encre de Chine) et de haiga (haïku avec des dessins et de la calligraphie japonaise Kana).
Mon cœur profond, c’est la culture japonaise très ancienne.
J’ai grandi à Niigata, dans une famille attachée à cette culture. Nous vivions dans une maison traditionnelle en bois. Mon grand-père était collectionneur d'antiquités. Chez nous, il y avait beaucoup d'œuvres d'art japonais.
J’ai appris le dessin, la peinture, l’aquarelle, la photo aux Beaux-Arts de Tokyo, où j’ai eu un diplôme en "Visual Communication Design". J’ai ensuite été graphiste puis directrice artistique à Tokyo.
Étudiante déjà, je voulais venir à Paris pour apprendre la culture française que je connaissais à travers Matisse, Giacometti et les livres de mon père.
Je suis arrivée en France avec l’intention d’étudier aux Beaux-Arts de Paris, j’avais envie de stimuler ma créativité et de me perfectionner. J’avais suivi quelques cours pour apprendre la langue, mais ce n’était pas suffisant pour progresser sérieusement en français.
Finalement, je ne suis pas allée aux Beaux-Arts, j’ai travaillé comme graphiste dans la publicité, pour une marque japonaise.
Au bout de trois ans, je suis rentrée au Japon. J’ai été embauchée dans un magazine, à la direction artistique puis par une marque de prêt à porter, où j’étais chargée de concevoir et de réaliser des créations d'images. J’avais une vie bien remplie, je partais régulièrement faire des shootings à New-York, Paris et à Saint Tropez.
Durant un de ces voyages, j’ai rencontré un Français qui habitait Toulouse.
Quand je l’ai vu, j’ai su qu’il deviendrait mon mari, c’est la première fois que j’avais cette impression. Nous avons la même date d’anniversaire, mais nous ne sommes pas nés la même année. Et étrangement, j’ai appris plus tard que c’était la même chose pour nos sœurs.
En 2000, nous nous sommes mariés à Tokyo et je suis venue vivre à Toulouse. Comme je connaissais déjà la vie en France, cela ne me faisait pas peur.
J’ai continué à faire des shootings à Saint Tropez, puis tout s’est arrêté pour cause de restrictions budgétaires. J’ai alors été bénévole pour aider des étudiants japonais dans la région.
En 2004, mon fils est né. Je suis tombée malade quand il avait deux ans. Cela a été très dur car je supportais mal le traitement. Par le biais d’une association, une dame venait garder mon fils bénévolement. Heureusement que c’est arrivé en France, car au Japon, je n’aurai pas eu cette aide.
Une fois guérie, j’ai tout changé dans ma vie. Nous avons décidé d’aller habiter à la campagne, dans le Lauragais. C’était nouveau pour moi, j’avais toujours vécu en ville. La nuit, sans les éclairages, j’avais peur au début.
Maintenant, la vie citadine n’est plus pour moi. La nature m'inspire et me donne tellement.
Avant, je me concentrais pour bien faire mon travail, tout venait de ma tête. Aujourd’hui, c’est du cœur que les choses viennent, je m’inspire de la nature, des couleurs du jardin, du zen et du wabi-sabi. C’est une approche très sensible, qui résonne avec celle des poètes haïkistes Sentoka et Bashō que j’aime particulièrement.
Je dessine depuis l’adolescence, mais je ne savais pas dessiner les oiseaux, car je n’en avais jamais vraiment vu. Ici, je les observe dans mon jardin, et c’est ce que je ressens qui guide ma main sur le papier. Le sumie-e, la calligraphie, c’est comme une méditation pour faire le calme et écouter à l’intérieur de soi.
Après mon problème de santé, j'ai créé en 2008 l'association culturelle Franco-Japonaise Le Ciel Lauragais.
J’ai repris la calligraphie et le sumi-e, car j’avais besoin de trouver une activité pour faire travailler ma main affaiblie par la maladie. Ce retour à la source s’est fait naturellement, car j’ai appris ces arts à sept ans, avec plusieurs calligraphes que ma mère fréquentait.
J’ai aussi changé mon alimentation. Pendant mes vacances d’été au Japon, j’ai fait un stage de macrobiotique. J’ai beaucoup lu sur cette philosophie alimentaire ainsi que sur la cuisine yakuzen (issue de la médecine traditionnelle chinoise).
Lors d’un cours de cuisine japonaise auquel je participais, j’ai sympathisé avec une dame, qui s’est montrée très curieuse de mon approche. Elle est venue chez moi goûter ma cuisine et dans la foulée, elle m’a proposé de donner des cours.
J’ai commencé à animer des cours de “cuisine essentielle du Japon”, pour préparer un miso bio par exemple. Il y a quelques années, j’ai été sollicité pour témoigner dans l’ouvrage de Marie Cochart “Notre aventure sans frigo... ou presque”.
J’étais une enfant pas comme les autres, un peu solitaire, tout le temps plongée dans un livre. Ma maîtresse a dit un jour à ma mère qui s’inquiétait “Elle est comme ça, il faut la laisser faire ce qu’elle veut” et grâce à elle, ma mère n’a pas insisté pour les études.
Peut-être que j’étais déjà artiste ? Si je n’étais pas née dans cette famille, je n’aurais pas connu le sumie-e, la calligraphie, les peintres français et tous ces arts traditionnels du Japon.
Beaucoup viennent de Chine, mais la voie japonaise est plus stricte, il y a des règles, qui sont des façons de faire ancestrales avec plus d’efficacité et moins de gestes.
La calligraphie de style Kana (le Kana Shodō) que je pratique est propre au Japon, elle date de l’époque médiévale. Autrefois, on comptait plus de 200 hiragana (nda : syllabaire, un des trois formes d’écriture japonaise), leur nombre a été ramené à quarante-huit en 1900, quarante-six dans la langue courante.
Peu de Japonais d’aujourd’hui savent lire la poésie ancienne car ils ne connaissent pas ces caractères. En France, peu de calligraphes maîtrisent cette forme.
Mon maître de sumie-e habite Tokyo. Chaque été jusqu’au covid, je lui apportais mes dessins pour avoir ses conseils. C’est une vieille dame de quatre-vingt-huit ans maintenant, qui ne reçoit plus chez elle.
Cela fait plus de dix ans que je donne des cours d’art plastiques et que j’anime régulièrement des ateliers d’arts traditionnels japonais pour plusieurs associations et écoles de la région.
Je travaille au musée Georges Labit de Toulouse, le musée des arts de l'Asie et de l'Egypte antique. J’ai commencé avec des cours de sumi-e, puis de calligraphie japonaise, de calligraphie haïku et plus récemment un atelier de furoshiki.
Je crée tout le temps et je participe à des expositions, comme Fragments du Japon au Château de Lavardens dans le Gers en 2021.
Ce printemps, à partir du 20 avril, je vais exposer avec le céramiste Rizu Takahashi et un autre artiste japonais, à la galerie Mosaïque à Saint Jean dans la région.
La première fois que je suis arrivée en France, à l’aéroport, j’ai eu l’impression d'être déjà venue.
C'était très nostalgique comme sentiment. Peut-être parce que j’avais beaucoup vu de peintures françaises et lu des auteurs classiques.
Quand j’étais jeune, l’Amérique, l’Angleterre, la France, l’Italie donnaient une image de grande liberté. Et puis Paris, c’était la mode. Beaucoup de Japonaises souffraient de la rigueur de la société et des règles quasi militaires. Ces pays les faisaient rêver.
Le Japon est devenu trop étroit pour moi, ce que j’aime de la France, ce sont ses grands espaces avec ses champs de tournesol, de blé, de maïs, de colza… ses prairies et ses espaces naturels.
J’apprécie un peu moins la façon de travailler. Au Japon tout est bien organisé, si on décide on fait avec l’espoir d’arriver à un bon résultat. En France on parle beaucoup, on ne décide pas, ça change tout le temps, parfois, les gens parlent forts ou s’énervent. Pour un Japonais c’est compliqué.
Tout cela me déroute, je ne sais pas comment faire et je laisse passer. Le résultat est même parfois étonnant, il y a du bon et du mauvais, disons que c’est la liberté.
Je respecte la culture française, mais ma source est cette culture ancienne japonaise que j’aime tant.
Je ne me sens ni française ni japonaise, je me sens moi. Pourtant, ma langue natale reste la plus appropriée pour exprimer mes sentiments et mes émotions.
Car pour moi la culture, c’est quelque chose qui se transmet de génération en génération, ce n’est pas étudier des techniques, c’est ressentir au plus profond de soi ce qui se fait. Il ne s’agit pas de bien écrire, mais d’écrire avec son cœur.
Et moi, je suis là pour aider à ça, à sentir ce qu’est l’esprit japonais.
J’ai grandi en bord de mer. Enfant, j’ai beaucoup joué au bord de l’eau. J’ai la nostalgie de l’odeur de la mer et du bruit du vent dans les pins, tout comme le poisson fraîchement pêché.
Aujourd'hui je n'ai plus mes parents, la terre où se trouvait ma maison natale va être vendue. Si je devais retourner au Japon, ça ne serait pas dans une grande ville.
L'essentiel pour moi est de vivre le présent, le plus important c'est maintenant ! En japonais, on dit nichinichi kore kōnichi ce qui peut se traduire par “Il faut essayer de vivre chaque jour d'une manière qui a du sens”.
http://www.instagram.com/yokoartiste/