Atsutoshi Hatamoto 幡本敦俊
15 mai 2023Toshie Kamada 鎌田聡江
20 août 2023Quoi qu'il arrive, j’irai n’importe où, du moment que je suis avec mon mari et notre chien.
Je suis pratiquante de chanoyu茶の湯 (littéralement, l’eau chaude pour le thé). Je préfère ce terme à celui de cérémonie du thé car il s’agit de partager en toute simplicité le thé avec ses invités, on se retrouve et on discute, comme dans la vie quotidienne.
Je suis ingénieur au CNRS, je travaille à l'Institut Fresnel de Marseille.
Comme quand j’étais au Japon. Je travaillais alors à l'institut d'enzymologie de l'université de Tokushima dans ma ville natale sur l’île de Shikoku et je pratiquais chanoyu avec ma professeure toutes les semaines. C’est la mère d’une amie d’enfance, je suis son élève depuis mes huit ans.
Le week-end, nous enseignions à des enfants et nous faisions des démonstrations lors de festivals municipaux et dans des maisons de retraite.
Chaque semaine, c’était la même chose, le travail, le thé. Un jour, j’ai eu envie de changer sans vraiment savoir quoi faire. Je suis partie en vacances en Italie, toute seule. Dans le vol de retour, j’ai rencontré un Français… et il est devenu mon mari.
Il se rendait au Japon pour un grand évènement d’iaidô 居合道 (un art martial japonais) qu’il pratique. Il m’a proposé de l’accompagner à Kyoto, mais j'étais très fatiguée et je n'étais pas intéressée par cette pratique. Nous avons échangé nos coordonnées et gardé le contact. Et petit à petit, j’ai imaginé venir vivre avec lui en France.
Sans trop y croire, je me suis renseignée sur les possibilités de travail à Marseille. J'ai eu la chance d’y trouver un poste dans un institut de recherche par l'intermédiaire de mon supérieur, alors que j'étais encore au Japon. La recherche, c’est un petit monde.
Pour convaincre mes parents de me laisser partir, nous nous sommes mariés avant mon départ. Dans notre Japon rural, nous étions encore très liés à nos valeurs conservatrices.
Quand j’ai quitté le Japon, ma professeure m’a offert un chabako, un petit set de thé, pour que je puisse continuer à pratiquer au quotidien. A Marseille, j’ai rencontré des Japonais et des Français intéressés par chanoyu, via une association franco-japonaise. J'ai commencé à partager l’art du thé avec eux.
Au départ, je n'avais que mon chabako et de petits tatamis portables achetés ici et installés dans le séjour de notre petit appartement. Mes élèves ont voulu en apprendre plus et j’ai été très vite à cours de matériel. Alors, depuis toutes ces années, quand nous retournons au Japon avec mon mari, je fais mes courses pour remplir les quatre valises de 24 kilos auxquelles nous avons droit dans l’avion.
Ma première fois en France, c’était à Marseille, avec mon mari, avant que je décide de venir y vivre. Il m'avait montré les plus beaux endroits de la région, la basilique Notre-Dame de la Garde, les Calanques... J’avais trouvé le paysage provençal magnifique, tout comme la lumière du printemps.
Il m’avait emmené à Auriol, voir ses amis du tir à l’arc. Je ne parlais pas français, je ne comprenais rien à ce que me disaient ces “papis” marseillais, mais ils étaient gais et très actifs, à l’opposé de mon père.
Au Japon, les hommes de sa génération travaillaient beaucoup. Avec la fatigue, il n’y avait pas beaucoup de sourires sur leurs visages, et le week-end, ils ne faisaient pas grand-chose. Peut-être est-ce différent maintenant avec les jeunes ? Je ne sais pas car je n’y vis plus.
Dans mon pays, surtout pour les femmes de ma génération qui vivent à la campagne, il y a beaucoup de “il faut”. Toute sa vie, ma mère s’est levée la première pour préparer les repas, s'occuper de la famille et tenir la maison. C’était une affaire de femmes.
Ici en France, si je ne veux pas, je ne fais pas, il n’y a pas toutes ces règles sociales.
Dans le quotidien, mon mari m’aide beaucoup, nous vivons ensemble et nous partageons les tâches. Quand je dis à mes amies japonaises qu’il fait la vaisselle chaque soir, elles sont très envieuses. Et de mon côté, je suis encore surprise quand je vois des pères en France accompagner leurs enfants à l'école.
Au début, je trouvais beaucoup de choses négatives à Marseille : les déchets dans les rues, le manque de ponctualité, les comportements égoïstes. Et puis, j’ai rencontré des personnes à l’opposé de ces clichés. Qui par exemple sont regardantes si on fait tomber quelque chose par terre.
Dans notre groupe de promeneurs de chiens, nous ramassons non seulement les crottes de nos animaux, mais aussi les canettes vides, les papiers et tout ce qui traine sur la colline Notre-Dame de la Garde. Parce que nous sommes très attentifs à la propreté de notre quartier.
J’ai appris à accepter le retard des autres. Cela me stressait avant, je me posais plein de questions, ça tournait dans la tête, et maintenant, je m’y suis habituée.
Mon plus beau souvenir ici, c’est la construction de ma maison de thé. Je voulais avoir un vrai endroit pour pratiquer chanoyu. Un jour, un de mes élèves m’a fait visiter sa maison qui était à vendre. Il y avait un petit studio attenant : j’avais trouvé ma maison de thé. Mais l’endroit était occupé, il fallait attendre que les locataires partent.
Pendant ce temps, nous avons travaillé sur le projet. J’ai imaginé mon rêve pendant des années, à partir de photos de maisons traditionnelles, et mon mari dessinait. Il a dû faire un million de croquis !
Cela a pris plus de temps que prévu pour aménager le studio car mon mari a tout fait lui-même.
J’avais arrêté mes leçons depuis des mois, je voulais reprendre pour la rentrée des classes. Mais après une année de travaux, ce n’était pas terminé.
A l’automne, je n’en pouvais plus. Nous avons travaillé encore plus dur. Et quand nous avons enfin accroché le kakemo dans le tokonoma, en pleine nuit, mon rêve s’était enfin réalisé. Quelle joie !
Cela fait bizarre tout de même d’avoir réalisé mon rêve. Je n’en reviens toujours pas.
Chaque matin, je viens ici à sept heures me préparer un matcha. Après, je peux commencer ma journée sereinement. C’est devenu un rituel nécessaire à mon équilibre. J’ai commencé en novembre l’année dernière. Quand j’arrivais, il faisait encore nuit, le soleil se levait avec moi.
Grâce à ma pratique du chanoyu, je suis restée connectée au Japon. Nous avons créé avec mon mari une association. Nous accueillons les personnes qui s’intéressent à la culture japonaise. L’endroit est confidentiel, nous recevons deux à trois personnes à la fois.
Dans la pratique du thé, j'explique le rôle de l’hôte et celui de l'invité, et tour à tour, les participants jouent l’un et l’autre. L’hôte sert le thé en suivant un protocole très codifié. Il apprend les gestes pour rendre le thé hospitalier et chaleureux pour ses invités. Et ces derniers découvrent comment recevoir le thé préparé par l’hôte.
Certaines personnes viennent tous les mois, d'autres participent juste à un cours d’essai. Pour moi, le plus important est de passer un bon moment, chacun à son rythme, tout me convient.
Nous partageons cette journée en appréciant le passage des saisons, car chaque fois c’est différent. Nous échangeons sur nos cultures, japonaise, française, et autre ; nous parlons de poésie, de chansons, d’artisanat, de nos coutumes. Peu importe que l'on soit Japonais ou Français. Il m'arrive de découvrir la littérature japonaise classique par le biais d'un Français. Et si une personne aime les kimonos, je peux lui apprendre l’art de porter le kimono.
Entre chanoyu, Internet et tous les moyens techniques, la nourriture japonaise qu’on peut trouver ici, le Japon n’est jamais loin.
C’est le changement de saisons qui me manque le plus. Là-bas, c'est plus lent, marqué par le rythme de la nature : les cerisiers en fleurs, les champs de riz, la saison des pluies. Et il y a beaucoup de fêtes liées aux saisons.
Au Japon, les forces de la nature sont immenses, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et les typhons sont fréquentes. L’humain s’adapte aux règles de la nature alors qu’en France, il lui dicte sa loi. Ici, c’est le changement d’heure qui annonce le printemps et l’hiver, je trouve cela très violent.
Comme à Marseille j’ai mon petit Japon avec ma maison de thé, je n’imagine pas retourner vivre dans mon pays. Je n’ai jamais envisagé cette possibilité, j'ai appris à parler français et j'ai la chance d'avoir un travail gratifiant et de nombreux amis japonais et français. Cela fait seize années déjà.
Mais si c’est ma destinée alors cela se fera.
Quoi qu'il arrive, j’irai n’importe où, du moment que je suis avec mon mari et notre chien. Et c’est la bonne humeur marseillaise que j’emporterai dans mes valises.