Toshie Kamada 鎌田聡江
20 août 2023Chiaki Miyamoto 宮本千安紀
29 octobre 2023Apprendre une langue c’est magique, cela permet de communiquer avec plein de nouvelles personnes.
Je m’appelle Naoko. Je viens de Tokyo, je vis à Toulouse depuis plus de dix ans. L’été dernier, j’ai ouvert mon commerce, Loulou pains. Je propose des pains japonais et des chiffon cakes que je vends sur les marchés de la ville.
A presque trente ans et après plusieurs années à travailler dans une banque à Tokyo, j’ai tout quitté pour changer de vie.
J’avais envie de partir à l’étranger, un rêve d’enfance. J’aimais beaucoup la culture anglaise, mais j’étais nulle en anglais. Alors l'Angleterre, ce n'était pas pour moi.
J’avais appris le français à l'université, en deuxième langue, ce qui est très courant au Japon. Je prenais en plus des cours dans une école privée.
Je crois que ce sont les gens que j’y rencontrais qui me motivaient : des musiciens, des artistes, des cuisiniers, en fait, des personnalités libres et très différentes de celles de mon entourage.
Donc venir en France a été une évidence. Je voulais une ville moyenne mais je ne savais pas laquelle.
Mon prof de français de l’époque m’a suggéré Toulouse, sa ville natale. Voilà comment j’ai débarqué ici en 2008 avec un visa vacances-travail.
Je suis restée une année, j’ai bien profité et j’ai surtout rencontré mon mari. Je suis repartie au Japon avec l’idée de revenir à Toulouse pour vivre avec lui, mais les évènements de 2011 ont retardé mon projet.
A mon retour en France, j’ai travaillé dans un atelier de fabrication de sushis. Je voulais être avec des Français.
Puis j’ai été en salle chez Hata-san dans son restaurant Iori où j’ai appris le service et comment communiquer avec les clients français.
J’ai rejoint Uniqlo en 2016 quand la marque s’est installée à Toulouse. Être vendeuse m’a donné confiance dans mon français, grâce aux clients et à mes collègues.
Au bout de quelques années, j’ai réfléchi à ce que j’avais envie de faire jusqu’à la retraite. Je voulais continuer à progresser en français, et faire quelque chose qui me serait utile si un jour je retournais vivre au Japon. Pour montrer à mon pays ce que j’avais appris en France.
J’adore la cuisine et tout ce que l’on peut manger.
A cette époque, j’avais trouvé une bonne boulangerie, j’avais même sympathisé avec les propriétaires. Cela m’a donné une idée.
En France, le pain c’est la vie. Et puis, je me suis aussi souvenu que ma mère faisait du pain à la maison quand j’étais enfant.
J’ai demandé un congé formation pour passer un CAP boulangerie. C’était pendant la période du covid. J’étais bien contente d’avoir ce projet, car ne pas faire un métier jugé “essentiel” m’a blessée et choquée.
J’ai commencé les cours à l’automne 2021 et au printemps suivant, j’ai eu mon diplôme. Je pensais être employée dans une boulangerie mais j’ai eu du mal à trouver mes marques et à m’adapter aux horaires. Je n’ai plus vingt ans !
Mon mari et mes amies m'ont encouragée à me mettre à mon compte. J’ai pensé aux marchés, plus simple que d’ouvrir une boutique. La cuisine japonaise n’est pas très populaire à Toulouse, cela permet de limiter les risques.
De la France, je ne connais que Toulouse. Lors de mon premier séjour quand j’étais étudiante, j’avais visité Paris et Nice. J’ai le souvenir d’avoir été impressionnée par les immeubles Haussmanniens et par les vieux bâtiments en pierre car nous n’avons pas au Japon des constructions chargées de tant d’histoires.
Je ne parlais pas bien le français, je n’ai pas le souvenir d’avoir communiqué avec les gens, j’avais juste peur des pickpockets dans le métro.
Ici à Toulouse, c’est très convivial et agréable à vivre. On dit bonjour et au revoir dans les commerces et dans les transports. Ce côté très humain me plaît beaucoup, il me manque même quand je suis au Japon.
Il faut dire que dans mon pays, quand on est petit, on n’a pas le droit de parler aux inconnus. Tout y est plus carré, plus conventionnel. Ce conformisme omniprésent était étouffant pour moi.
Je me rappelle de la fois où je me suis fait friser les cheveux. C’était un peu de la provocation, pour voir comment ça réagirait à la banque. Ma supérieure m’a expliqué que cela ne collait pas avec l’image de la société. Je suis retournée chez le coiffeur le lendemain, j’avais essayé !
La France a ses petits désagréments, mais au final, je m’adapte, rien n’est grave. Cela ne sert pas à grand-chose de toujours comparer avec le Japon.
Quand j’y suis, je sens l’influence de ma vie en France, même si je reste très japonaise. Je suis plus avenante au restaurant ou dans les magasins car j’aime bien écouter les histoires des gens.
Être en France est un cadeau pour moi, chaque rencontre est un bon moment. Je peux parfois me prendre la tête, déprimer, mais je ressens tellement de gratitude pour tous ceux que j’ai croisé, qui m’ont appris ou fait travailler,
Apprendre une langue c’est magique, cela permet de communiquer avec plein de nouvelles personnes. Même si je suis quelqu’un de timide.
Quand je cherchais un local pour m’installer, je ne savais pas comment faire. Un jour, au hasard, je suis entrée chez un caviste et j’ai demandé comment ils avaient fait. On a sympathisé et maintenant, ils m’achètent du pain et je continue à leur acheter du vin.
Cela fait un an que Loulou pains existe, j’ai des clients fidèles et je commence à stabiliser mon affaire, c’est ma priorité. Le mercredi, je suis à Croix-de Pierre, le vendredi place du Ravelin et le dimanche au marché Saint-Aubin.
J’ai une autre idée en tête, je ne l’ai encore partagée avec personne : je suis copine avec la veuve du réalisateur Jun Ichikawa. Elle adore Toulouse, elle est déjà venue plusieurs fois. J’aimerais faire une rétrospective des films de son mari. Sauf que je ne sais pas comment m’y prendre, je ne sais même pas si ses films sont traduits en français.
On voit de plus en plus de films japonais en France et à Toulouse, alors pourquoi pas les siens ? Si quelqu’un a des idées ou peut m’aider, je suis preneuse ! Mon expérience en France m’a appris qu’il faut commencer pour que ça commence.
A cause du covid, je n’étais pas retournée voir ma famille et mes amis depuis quatre ans. Avec les moyens de communication actuels et mon projet, j’avais l’impression qu’ils ne me manquaient pas trop. C’est quand je les ai revus que j’ai réalisé que ce n’était pas le cas.
Quatre années, c’est peu pour moi mais beaucoup pour mes parents. Le temps passe, cela me rend triste, je vais reprendre l’habitude d’aller les voir tous les ans.
Je suis nostalgique des rizières de Niigata, de la chaleur et de l’humidité de l’été, du chant des cigales. Tout cela est écrit dans mon adn.
Pour le moment, la vie à Toulouse me convient. Mais bon, le Japon, c’est quand même mon pays.
Retourner y vivre, pourquoi pas ? D’autant que mon mari adore. Ce serait pour habiter à la campagne, je ne sais trop où. Et grâce à Loulou pains, je serai prête.
J’ai envie de garder ce sens de l’hospitalité qui m’est cher, et pouvoir aider ceux qui veulent venir visiter ou vivre au Japon.