Naoko Takeda 直子
13 septembre 2023Aiko Konomi 許斐 愛子
4 novembre 2023Il y a quelques années, je me suis posée la question de repartir vivre dans mon pays, mais j’aime trop la France, surtout la Provence
Je m’appelle Chiaki Miyamoto, je suis illustratrice jeunesse. Je travaille avec la presse et les maisons d’édition. Je fais aussi des animations pour les enfants du primaire, dans les médiathèques ou quand je participe à des salons du livre.
J’ai découvert la France à treize ans, lorsque ma grand-mère m’a emmenée au Grand théâtre de Takarazuka voir La rose de Versailles. Elle m’a acheté dans la foulée le manga éponyme qui a inspiré la pièce. Il a aussi été adapté en animé sous le titre Lady Oscar. L’histoire se passe pendant la révolution française.
Je me suis passionnée ensuite pour le pays et pour son histoire, tant et si bien que j’ai choisi d’apprendre le français pendant mes études à l’université.
Grâce à La Rose de Versailles, j’ai commencé à dessiner des mangas et à envoyer mes planches de dessins aux éditeurs. J’ai même gagné à vingt ans un prix d’encouragement. J’ai arrêté le dessin à cette période, je n’avais plus le temps car j'apprenais le graphisme dans une école de communication visuelle à Osaka..
Mon diplôme en poche, j’ai décidé d’aller en France. C’était mon premier voyage à l’étranger, j’avais vingt-deux ans. J’ai bien sûr visité le château de Versailles, ainsi que beaucoup de musées à Paris et en Provence, comme ceux de Matisse et de Picasso.
Je me suis sentie très proche de ces arts, de la façon dont ils sont intégrés dans le quotidien des gens. En France, les musées sont abordables, ils sont même gratuits pour les étudiants et pour les artistes, ce n’est pas un truc de snobs. Je me rappelle avoir été surprise en voyant une personne dessiner devant un tableau au musée car c’est inimaginable au Japon.
Bref, je suis tombée amoureuse du pays, des artistes, des villages de Provence, de la nourriture.
A mon retour au Japon, j’ai eu envie de revenir en France pour reprendre mes études artistiques, et aussi pour avoir l’expérience de la vie ailleurs. J’habitais à cette époque à Osaka, la ville où j’avais grandi.
J'ai commencé à me renseigner sur les écoles d’art mais en fait, je ne savais pas trop ce que j’avais envie d’apprendre. Jusqu’à ce que je découvre par hasard les dessins des livres jeunesse, lors d’une exposition montrant les projets sélectionnés à la foire du livre pour enfants de Bologne en Italie.
Dans la sélection, j’ai trouvé une dizaine d’illustrateurs français. Je leur ai écrit pour avoir des recommandations d’écoles d’art en France. Parmi les réponses que j’ai reçues, il y avait l’école du dessin Emile Cohl à Lyon et les Beaux-arts de Strasbourg.
J’ai travaillé comme graphiste durant toute une année pour financer mes études, et en parallèle j’ai déposé mon dossier à l’école de Lyon. Comme j’étais diplômée dans les arts, j’ai été dispensée de prépa. Je suis arrivée en France en 2000, très motivée pour devenir illustratrice de livres jeunesse.
Quatre ans après, une fois sortie de l’école, j’ai eu grande la chance de pouvoir publier mon projet de fin d’études Un jour d’Eden aux Éditions Grandir. C’est l’histoire revue et corrigée de la scène d’Adam et Eve avec la pomme.
Cela m’a permis de contacter d’autres maisons d’édition et de lancer mon activité en freelance. Et puis, je me suis mariée et je suis restée à Lyon.
Je collabore avec un ami artiste, Éric Rolland Bellagamba, rencontré à Tokyo en 2010 lors d’une exposition collective. Avec sa femme, ils étaient venus spécialement de Arles.
Quand j’ai eu envie de venir vivre à Arles, ils m’ont aidé à trouver ce logement en plein centre, avec cette petite terrasse au soleil que j’apprécie beaucoup. Il y a une belle lumière, je m'égaie à m'occuper de mes plantes et mon chat Teto adore y faire la sieste.
Arles est une ville à taille humaine. J’ai beaucoup aimé Lyon mais la ville était devenue trop grande pour moi. Tout comme Osaka, ma ville natale : tout est différent, l’architecture, la nourriture, le rythme de vie. Il y a plein de choses intéressantes mais c’est trop « speed », je ne me vois plus y vivre.
Grâce à la France, j’ai pu réaliser mon rêve. Elle m’a aussi permis d’apprécier certaines qualités du Japon : la propreté des toilettes publiques, la ponctualité des bus et des trains, la considération et le respect pour les autres.
Par contre, je trouve que les Japonais ont du mal à exprimer leurs émotions et leurs envies, trop préoccupés par le regard des autres. Ils sont trop attachés aux règles et à éviter les conflits à tout prix. Alors les choses ne vont pas bien.
Les Français, eux, font ce qu’ils veulent, ils prennent le temps de profiter de leur famille et de leurs amis. La valeur de la vie n’est pas que dans le travail. J’aime moins les grèves, trop nombreuses, qui perturbent la vie quotidienne de beaucoup de gens.
Pour mon travail, le marché français du livre de jeunesse est un univers très riche et très vivant, il y a sans cesse de nouvelles parutions, et sur plein de sujets.
Je suis parfois invitée à des salons, pour des dédicaces ou pour animer des ateliers avec les enfants. Ça me permet de découvrir le pays, et de me faire de nouveaux amis. C’est dommage qu’au Japon, il n’y ait pas tout cela.
J’aimerais continuer à travailler avec les maisons d’éditions et les auteurs pour illustrer leurs histoires. J’ai aussi le rêve de raconter un jour celles que j’aurais imaginées. Je l’ai déjà fait avec Petit-renard a la recherche du vent paru chez Gallimard Jeunesse, mais c’est un autre métier. Ce n’est pas si facile d’écrire pour les enfants, surtout en français. J’ai plein d’idées dans ma tête, maintenant, il me faut les concrétiser.
Pour mes dessins, j’utilise plusieurs techniques, cela dépend de l’histoire et de mon inspiration. Je dessine sur ma tablette ou sur papier avec de l'encre de Chine ou simplement avec des crayons de couleur. J’ai même fait des livres avec des formes découpées au laser.
Je continue à développer mon style et à explorer d’autres pratiques. J’ai récemment commencé à apprendre la céramique ainsi que la risographie, une jolie technique d’impression venue du Japon.
Je suis gourmande, j’adore les inarizushi (des pochettes de tofu frit sucré fourrées de riz vinaigré). Heureusement on peut en acheter maintenant en France, tout comme la vraie nourriture japonaise, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans.
La papeterie de qualité à prix abordable reste difficile à trouver ici. Dès que je vais au Japon, je fais le plein de papeterie et de papier washi, sans oublier l'excellente gomme de Mitsubishi !
J’y retourne tous les deux ans environ. Toute ma famille est au Japon, elle me manque, même si avec Internet, garder le contact est facile.
J’aurais bientôt passé la moitié de ma vie en France ! Il y a quelques années, je me suis posée la question de repartir vivre dans mon pays, mais j’aime trop la France, surtout la Provence. J’ai plein d’amis et je suis vraiment bien installée à Arles. Alors tant que j’ai du travail et que je peux m’exprimer au travers de mes créations, je profite de la vie ici.
Et si je devais partir, j’amènerai Teto, car nous sommes inséparables.