Chiaki Miyamoto 宮本千安紀
29 octobre 2023Hiroko Miyata 宮田寛子
10 décembre 2023C’est la vie en France qui a révélé ma fibre Japonaise. Au contact d’une autre culture, j’ai réalisé ma différence.
Je suis arrivée en France en 2014 pour apprendre la tapisserie d’Aubusson. Depuis, j’habite à Aubusson où je suis lissière.
J’ai étudié les arts textiles contemporains aux Beaux-arts de Kyoto.
Une fois mon master obtenu, j’ai essayé de vivre de mes créations. J’explorais la frontière entre artisanat et art, je cherchais la limite. Ça m’a bien pris la tête, je n’ai pas trouvé de réponse, alors j’ai laissé tomber pour travailler à gauche à droite.
A la trentaine, je dessinais des publicités pour le web, cela ne me plaisait pas vraiment. Je ne me voyais surtout pas faire ça toute ma vie.
Alors, j’ai voyagé en Europe, j’ai visité Paris, notamment la Manufacture des Gobelins. Je n’ai pas pu oublier ce que j’y ai vu, un vrai travail de tissage à la croisée de l’artisanat et de l’art. Comme une réponse à ma propre recherche.
Du coup, je suis revenue en France pour découvrir d’autres villes connues pour leur tradition textile : Beauvais, Bayeux, Angers, Lyon et Aubusson. Aubusson, c’est loin de tout, j’ai dû contacter l’Office du tourisme pour savoir comment y aller. Et finalement, j’y suis arrivée.
La tapisserie est un artisanat d’art qui se perd, et ici à Aubusson, il est encore vivant, grâce à son inscription en 2009 au patrimoine de l’UNESCO, et surtout avec l’ouverture l’année d’après de la Cité internationale de la tapisserie. C’est à la fois un musée, un lieu de formation, une bibliothèque et une annexe du Mobilier National, avec le projet de faire renaître cette tradition.
Cela m’a parlé. J’ai alors pensé “Si je viens en France apprendre la tapisserie, peut-être pourrais-je avoir la réponse que je n’ai pas trouvée au Japon : quelle est la source de l’art textile ?”.
La limite d’âge était passée pour m’inscrire à l’école des Gobelins et en plus, je n’avais pas la nationalité française. Heureusement, j’avais à cette époque un ami français qui venait régulièrement à Kyoto. Il se trouve qu’il habitait à Aubusson.
Nous avons fait un échange linguistique franco-japonais, il m’a accueillie chez lui. Grâce à lui, j’ai pu échanger avec France-Odile, la responsable d’un atelier privé de tapisserie, et voir comment je pouvais me former en France.
Il y a à Aubusson un centre d’apprentissage pour adultes, le Greta, mais il n’est pas ouvert aux étrangers. France-Odile a essayé de négocier pour moi, en vain.
Je lui ai alors proposé de faire en stage privé dans son atelier, et ainsi j’ai obtenu un visa-visiteur pour un an. J’ai quitté mon travail, et je suis partie à Montpellier pour d’abord apprendre le français.
Le fait d’être en France a permis à France-Odile de me faire admettre au Greta. J’ai fait une année, puis j’ai arrêté. La formation était coûteuse, et surtout, l’associée de France-Odile est partie à la retraite. Il y avait une place pour moi dans l’atelier, c’était un beau cadeau de leur part. J’ai eu de la chance.
J’ai travaillé à l’atelier durant sept années. La Cité lance régulièrement des appels à projets, auxquels répondent les ateliers privés de tissage et les lissiers freelances. Il y a des collaborations avec des artistes contemporains ou des projets plus ambitieux, comme les grandes tentures en hommage à Tolkien et Hayao Miyazaki.
A chaque fois, c’est une compétition, il faut monter un dossier et fournir un échantillon. Chaque lissier donne libre cours à son interprétation et réfléchit à la meilleure façon de réaliser la tapisserie. Ce chemin entre art et artisanat, c’est exactement celui que je cherchais.
Il y a un peu de moi dans le projet Miyazaki. Mon père avait une connaissance qui connaissait quelqu’un du studio Ghibli. Grâce à lui le contact a pu se faire entre le studio et le directeur de la Cité.
Le studio Ghibli a souhaité que je serve de premier contact, et selon la coutume japonaise, j’ai entretenu le lien. J’ai beaucoup œuvré pour initier la mise en relation et faciliter les échanges pour que le projet se concrétise.
Et surtout, j’ai travaillé sur la troisième tapisserie, celle sur le Château ambulant. Un panneau de cinq mètres sur cinq, qui m’a demandé cinq mois de préparation couleur puis onze mois de tissage, en équipe avec six autres lissiers.
Mon travail me plait beaucoup. La tradition de la tapisserie d’Aubusson a plus de six siècles, c’est formidable de pouvoir mettre mes mains dedans et participer à la grande Histoire.
Je me rappelle de ma première fois en Europe, j’ai visité plusieurs pays, mais c’est en France que je me suis sentie le mieux.
La France a plein de jolis côtés. Comme avoir cinq semaines de vacances avec l’assurance de les prendre sans avoir à résister à la pression de son chef. Ou, de ce que j’ai vu de mes amies, faire des enfants sans calculer par rapport à son travail, et pouvoir avoir une nounou. J’ai l’impression qu’il est plus facile ici de séparer la vie professionnelle de la vie privée.
Quand j’étais au Japon, j’avais très peur de vieillir, tant la valeur de la femme s’y mesure à son âge. En France, l’âge n’est qu’un chiffre, il n’y a pas de limite à s’habiller comme on veut et faire ce qui nous plaît.
C’est la vie en France qui a révélé ma fibre Japonaise. Au contact d’une autre culture, j’ai réalisé ma différence, une façon de penser et d’être, dans la politesse et le respect de l’autre. Pouvoir tutoyer son patron est incroyable pour moi.
J’ai quitté l’atelier de France-Odile ce printemps, pour me lancer en freelance. Il est temps pour moi de proposer mes propres créations et de répondre en mon nom aux projets de la Cité et de clients particuliers.
J’ai envie de mêler le style néo-classique européen avec des traditions japonaises pour mettre mon histoire dans cette histoire de la France.
J’aimerais jouer sur les matières et les motifs. L’époque des mille fleurs, celle de la Dame à la licorne m’intéresse car les tapisseries ne sont pas des copies de peinture, elles sont des œuvres à part entière.
Quand j'étais jeune, ma grand-mère m'a appris le tissage saga-nishiki, une technique traditionnelle avec une trame en fil de soie et une chaîne en papier japonais doré. Le saga-nishiki a été ma porte d'entrée dans le monde du tissage, c'est aussi mes racines. Aujourd'hui, je souhaiterais l’utiliser pour réaliser mes tapisseries.
Me voilà enfin sur la voie entre art et artisanat. A la recherche de nouvelles formes de tapisserie murale tout en préservant l’esprit originel de la tapisserie d”Aubusson.
Mon atelier est prêt. J’ai pu racheter le métier à tisser d’un grand lissier décédé, et je viens de passer deux mois au Japon à chiner différents outils que je voudrais tester.
Grâce à Internet, je peux parler avec ma famille très facilement. Il m’est plus difficile de trouver du poisson frais et du bon saké car je vis à la campagne au milieu de nulle part.
J’ai d’autres plaisirs, comme celui d’aller ramasser des cèpes, moi qui n’imaginais pas manger un jour des champignons sauvages. Prendre l’apéro avec les copains, autour d’un verre et de petites choses à grignoter. Et boire des vins d’Alsace, découverts grâce à mon compagnon alsacien.
J’ai trouvé ma place ici à Aubusson, j’ai acheté une maison. Je ne pense pas retourner vivre dans mon pays, surtout que je vais pouvoir y aller plus souvent maintenant que je suis à mon compte.
J’y étais cet automne. Deux de mes anciens professeurs aux Beaux-arts de Kyoto m'ont proposé de partager mon expérience de création avec leurs étudiants, j’ai ainsi donné deux conférences à Kyoto et à Kanazawa.
J’ai également accompagné une délégation de la Cité à Tokyo, pour une conférence de presse, afin de faire connaître le travail des grandes tentures. En espérant voir un jour la tapisserie d'Aubusson exposée au Japon.