Aiko Konomi 許斐 愛子
4 novembre 2023Makiko Tsuchiya-Matalon 土屋真希子
3 février 2024J’aime la Provence, marcher la tête en l’air, admirer le soleil et toutes les nuances du ciel, les différents bleus et les dessins des nuages
Mon plaisir est d’utiliser mes mains pour créer quelque chose. En ce moment, je suis ébéniste, je travaille le bois. Je pourrais aussi coudre des chemises et des pantalons, qu’importe le matériau, du moment que je fais avec mes mains.
Je m'appelle Hiroko, je suis née à Fukuoka, dans le Sud du Japon, et plus récemment j'habitais à Yokohama pas très loin de Tokyo.
La France est venue à moi par l’intermédiaire de mon mari. C’est le hasard qui a fait les choses, car je n’avais jamais imaginé vivre en France. Nous nous sommes rencontrés en Ecosse, dans une école de langues. Le matin nous étions des étudiants, et le reste de la journée, nous explorions la ville.
A l’université, j’ai appris le dessin industriel mais au fond de moi déjà, j’avais besoin d’utiliser mes mains. Alors j’ai décidé de devenir ébéniste. Dans ma génération, au Japon, il y avait peu de femmes qui faisaient ce métier, c’était un milieu assez fermé.
Je suis partie à Hokkaido après mes études, j’ai été embauchée dans une entreprise industrielle qui fabrique des meubles en bois. J’ai voulu être ouvrière, pour apprendre à me servir des machines.
Cinq années après, j’ai déménagé à Yokohama.
En cherchant un atelier où travailler, j’ai trouvé un article sur un artisan ébéniste local, Katsuhito Uchida, j’ai été touchée par ce qu’il disait. J’ai eu envie de le connaître, de parler avec lui. Alors je suis allée le voir. Je n’avais pas imaginé qu’il me proposerait de travailler à ses côtés, car il était très sollicité. Cela ne m'avait même pas traversé l'esprit.
Ça a été dur d'accepter tellement je l’admirais. Aujourd’hui encore, il est mon maître, j’ai une grande confiance en lui, je vais le voir chaque fois que je rentre au Japon.
J'ai passé dix années dans son atelier, et à trente-trois ans, j’ai eu le désir de découvrir le monde. Je n’avais jamais voyagé, ni pris de vraies vacances. Heureusement, mon maître a accepté que je parte quelque temps.
Ma première destination a été l’Europe, pour apprendre l’anglais. Une connaissance m’avait parlé de l’Ecosse, j’ai suivi son conseil. Avec le recul, ce n’était pas le meilleur endroit pour progresser en anglais.
J’avais prévu de rester six mois, de rentrer auprès de mon maître quelques mois, puis de repartir au Danemark pour apprendre à travailler le métal. J’ai pensé que ce savoir-faire me serait utile pour fabriquer les parties métalliques des meubles. Le Danemark, c’est le pays du design, ça m’attirait.
L’école était située à Bornholm, sur une île dans la mer Baltique. Il se trouve que sa directrice avait un frère ébéniste en Californie. Elle m’a proposé d’aller le voir. Il habitait en famille dans la forêt, en autosuffisance, un peu à la façon hippie. Une vie toute simple. Il avait construit sa maison de ses mains avec sa femme.
Ensemble, nous avons fabriqué une grande table à manger et neuf chaises.
Pendant tout ce temps, mon mari m’a attendue. Il était resté moins de temps que moi en Ecosse, j’étais venue le voir en France depuis l’Ecosse et après depuis le Danemark.
Quand je suis retournée au Japon après la Californie, nous avons vécu une année ensemble à Yokohama. Nous nous sommes mariés avant de repartir en France, en 2016.
Il est né dans le Lubéron et a étudié à Avignon. Venir vivre ici, à Avignon, a été une évidence.
Au début, je n’avais aucune idée de ce que je ferai en France, j'avais juste amené quelques outils. Et, encore une coïncidence : à côté de chez nous, il y a un ébéniste. Un jour que je regardais la vitrine de son atelier, sa femme m’a invitée à entrer, nous avons sympathisé. Il m’a proposé de venir dans son atelier, pour voir son travail. Parfois il me demandait de l’aider, il voyait bien que je connaissais le métier.
Il m'a permis de garder le contact avec le bois, en attendant d'avoir mon propre atelier, je lui en suis très reconnaissante. J’ai trouvé rapidement un local en plein centre ville, ça a été plus long pour finaliser les démarches administratives.
J’ai ouvert mon atelier début 2017. J’ai été très bien accueillie par mes voisins, ils m’ont donné très vite du travail. Jusqu’à l’année dernière, je faisais un peu de réparation et je consacrais le reste du temps à mes créations. C’est un peu compliqué de trouver le bon équilibre, car c’est le travail créatif qui m’anime le plus.
Je travaille avec du bois de seconde main. Je donne une deuxième vie à tous ces meubles qui sont jetés. Je récupère aussi de vieux pianos par l’intermédiaire d’une association locale, et des chutes de bois données par des confrères. Je crée de petites pièces uniques, je m’adapte à l’espace de mon atelier.
Je me laisse guider par le bois que j’ai en stock ou alors, à partir d’une image dessinée dans ma tête, je cherche la pièce la plus adéquate. En France, on trouve beaucoup d’essences, on peut travailler sur une plus grande variété de bois. Cela s’explique probablement par le passé colonial du pays.
J’ai finalement rapporté tous mes outils du Japon car je travaille le bois comme je l’ai appris, il y a quelques différences avec la façon de faire d’ici.
Quand je suis venue en France la première fois, je n’avais pas d’idée particulière en tête, on m'avait juste dit que Paris était une belle ville. J’étais à la fois impressionnée et stressée, car j’avais peur de me faire voler mon sac.
J’aime la Provence, marcher la tête en l’air, admirer le soleil et toutes les nuances du ciel, les différents bleus et les dessins des nuages.
Mais ce que j’apprécie le plus, ce sont les personnes et ce qu’on appelle la convivialité. C’est tellement sympa de dire bonjour naturellement quand on entre dans un magasin. C’est différent du Japon où la communication est plus mécanique, on dit bonjour pour dire bonjour mais au final, c’est froid, comme si il y avait une vitre entre les gens.
En France, on accepte mieux la différence des autres, même si on pense différemment.
J’aime un peu moins les crottes de chiens sur les trottoirs, je trouve cela dommage tant ma ville est belle.
J’ai beaucoup de gratitude envers ceux qui m’entourent, mes voisins, les passants. Les voir s'arrêter pour regarder ma vitrine me comble de joie. Il y a peu, mon atelier a été vandalisé. Une voisine m’a offert un bouquet de fleurs pour me consoler, elle était désolée pour moi.
Je vais maintenant me consacrer à mes créations, et montrer mon travail à plus de gens. Je ne sais pas encore comment, une exposition peut-être ou autre chose. Je n’y ai pas encore réfléchi, je fais confiance en la vie, car elle m’a toujours offert de belles opportunités.
Du Japon, il me manque les onsen et certains ingrédients pour cuisiner. Les somen par exemple, même si depuis peu, j’en trouve à l’épicerie japonaise du centre ville.
Car à la maison, nous mangeons japonais, mon mari aime beaucoup. Il s’intéresse au Japon, au bushido, il connaît le sujet mieux que moi.
Un jour peut-être, nous repartirons au Japon, mais ce n’est pas dans l’air du temps.
Et si cela se faisait, je garderais l’habitude de dire bonjour de tout mon cœur en entrant dans les magasins.
Hiroko Ebénisterie 8 Rue Petite Saunerie 84000 Avignon
Merci à Chiaki Miyamoto pour la mise en relation.