Makiko Tsuchiya-Matalon 土屋真希子
3 février 2024Yukimi Yamamoto-Heuzey 山本由紀美・ウゼ
12 avril 2024Les gens en France sont différents, j’aime l’énergie qui s'en dégage.
Je suis jongleur, danseur et chorégraphe, je viens de monter ma compagnie de danse et de cirque, la compagnie Tobio, cela veut dire poisson volant en japonais. Je fais aussi partie du collectif Petit Travers. Nous sommes à Villeurbanne, nous créons des spectacles autour du jonglage et nous donnons des représentations partout en France.
J’ai grandi à Chiba au Japon et je vis en France depuis 2017. Je suis venu pour étudier le cirque contemporain au CRAC de Lomme près de Lille. Après ma première année, j’ai réussi une audition pour un spectacle du collectif Petit Travers, que j’ai pu intégré. Depuis, j’habite à Lyon.
Avec ma licence de littérature anglaise, j’aurais pu enseigner au collège et au lycée. J’ai préféré utiliser mon anglais en travaillant pour une entreprise japonaise et ses filiales américaines. C’était bien mais au bout de quatre ans, j’ai voulu essayer autre chose. C’était important pour moi d’avoir plusieurs options pour mon avenir.
Et puis j’approchais la trentaine, j’arrivais en limite d’âge pour entrer à l’école de cirque.
Je jongle depuis mes douze ans. Au collège j’ai fait beaucoup de basket et de course, je les ai aimés mais c’était épuisant. J’ai tout arrêté quand je suis entré au lycée, pour me concentrer sur le jonglage. J’ai monté un club car je trouve plus sympa de m'entraîner avec des potes, et ça donnait la possibilité de participer aux fêtes de l’école.
A l'université, il y avait déjà un club. Je n'étais pas encore très fort. J’ai progressé avec le temps, et bizarrement je me suis mis plus sérieusement à jongler quand j’ai commencé à travailler.
En fait, je voulais faire une école de cirque contemporain. Au Japon, il n’y en a qu’une seule. J’ai déposé un dossier dans des établissements en France et en Belgique. Après, il a fallu venir plusieurs fois en France pour passer des auditions. Et j’ai été admis à l’école de Lomme.
J’avais passé trois semaines de vacances en France quand j’étais étudiant. J’avais travaillé pendant une année dans une école privée pour me payer le voyage. J’avais logé chez des amis et en auberges de jeunesse, à Paris puis à Nevers. Après j’avais fait le tour de France, Lyon, Marseille, Montpellier, Bordeaux. C’était très chouette.
C’était aussi ma première fois en Europe. Je trouvais que c'était beau, l’architecture, l’ambiance des villes. Un peu comme si je visitais Disneyland, cela me paraissait un autre monde.
Maintenant que je vis ici, je m’y suis habitué, et je découvre une autre réalité.
J’aime beaucoup mon travail, c’est incroyable de pouvoir proposer à des théâtres et à des organisateurs de festivals les spectacles contemporains qu’on a créés. De pouvoir avoir un budget pour faire de grandes choses.
C’est pour moi un travail à part entière, contrairement à mes amis artistes au Japon qui travaillent souvent à côté. J’y retourne chaque été pour faire mes recherches, expérimenter avec eux de nouvelles choses puis je rentre en France pour partir en tournée. Après, je ramène au Japon ce que cela m’a appris. C’est bien de pouvoir croiser les réseaux.
Les gens en France sont différents, j’aime l’énergie qui s'en dégage, je les trouve plus cool. Je me sens parfois en décalage, mais je sens que je change aussi. Je deviens un peu français par rapport à mes compatriotes au Japon.
Je parlais un peu la langue en arrivant, j’ai progressé mais c’est parfois compliqué. On parle beaucoup en France, et quand je suis fatigué, j’ai du mal à m’exprimer.
Au travail, ça va, je maîtrise le vocabulaire du spectacle, mais c’est dans les discussions de tous les jours que c’est plus difficile, car c’est gênant de faire répéter plusieurs fois. La communication n’est pas fluide, je trouve cela frustrant, surtout pour me faire des amis.
J’en suis à ma deuxième pièce avec le collectif Petits Travers. La dernière, Nos matins intérieurs, a eu du succès, nous avons pu jouer dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon en 2023. J’ai aussi un projet en duo avec Naoko Tozawa, une danseuse qui habite à Annecy.
Maintenant, je me concentre sur ma compagnie. J’ai envie de créer mes propres chorégraphies et de faire la mise en scène. J’aime explorer le mouvement du corps en lien avec des objets, comme un simple bâton ou un bout de ficelle.
Monter ma compagnie est un challenge, et heureusement, je suis aidé par mes amis français. Il y a beaucoup de travail, pour faire avancer le projet et trouver des lieux pour les répétitions et les représentations.
Notre première pièce s’appelle Asobo, un trio avec trois interprètes et un bâton. Elle s’inspire des jeux d’enfants les plus simples. Ils s’amusent avec des pierres ou des branches. Ce sont des choses qui s'oublient après en grandissant. Asobo, c’est toutes les possibilités de s’amuser avec juste un bâton et en bougeant son corps.
Nous avons bénéficié d’une résidence de création à l’espace social et culturel La Soierie près de Annecy, nous ferons la première là-bas à la fin de 2024. Nous avons aussi une date en 2025 au festival du Grand Saut. J’ai un bon réseau à Annecy, et j’essaie de développer celui de Lyon et d’autres lieux. Je rencontre des gens, je persévère dans ma volonté de continuer à créer des spectacles de qualité.
En parallèle, je travaille sur une exposition interactive, autour de petits jeux que j’ai imaginé avec des objets variés; des bâtons, des boîtes, des ficelles, des balles. J’ai testé le principe au Japon, et je voudrais le proposer en France. Par exemple dans les MJC ou dans les écoles, mais je ne sais pas comment m’y prendre.
La nourriture de mon pays me manque, des plats que je ne sais pas cuisiner, des petits trucs de la cuisine du quotidien. C’est limité ici en termes d’ingrédients. Il y a de nombreux restaurants japonais maintenant à Lyon mais c’est toujours la même chose, et à force cela coûte cher.
Je n’abandonne pas le Japon, j’y vais chaque été retrouver mes amis artistes et jongleurs qui essaient d’animer le monde du spectacle vivant contemporain. Ils sont inspirants pour moi, ils m’influencent et me motivent.
J’en profite toujours pour faire une escapade dans la nature, à la campagne, au bord de la mer ou à la montagne. Cette nature me manque, d’autant qu’en France, je suis citadin, je n’ai pas le temps de sortir des villes.
Repartir vivre au Japon n’est pas à l’ordre du jour, mais cela reste une possibilité si mon titre de séjour n’est pas renouvelé. Je fais un métier incertain, ce qui marche aujourd’hui ne marchera peut-être pas demain, rien n’est sûr. Au pire, je repartirai au Japon, j’ai la capacité de faire plein de choses.
Mon projet est tout nouveau, je suis confiant pour les deux saisons à venir, il faut que je continue à avoir des contrats en tant qu’artiste et des dates pour les spectacles.
Si je devais partir, je trouverais le moyen d'amener avec moi au Japon mon spectacle et mes interprètes, car on s'entend bien. Enfin, je n’en suis pas là.
En attendant, j’aimerais inviter d’autres circassiens japonais à venir en France ou en Europe, ce serait vraiment cool. Car pour l’instant, je suis le seul.
J’ai découvert Taichi lors d’une représentation de la pièce du collectif Nos matins intérieurs à Lyon. Je l’ai contacté via instagram, et voilà !
https://www.instagram.com/kotsujinsta/