
Manabu Watanabe 渡辺学
14 juillet 2024Vous les Français, vous aimez manger des choses luxueuses, même si elles ne sont pas toujours bonnes pour la santé.
Je suis en France pour accompagner mon mari, en poste consulaire à Marseille. Sur mon titre de séjour, il est écrit “épouse de …” mais cette étiquette de “femme au foyer” ne me convient pas vraiment. Je ne peux pas travailler avec ce visa, c’est un problème pour moi.
J’ai travaillé un temps pour une organisation des Nations Unies puis pour une agence de coopération japonaise. J’aurais voulu faire ça toute ma vie mais des problèmes de santé m’ont fait changer de voie. Alors, j’ai étudié la cuisine dans une école hôtelière quand nous étions au Québec. Car la cuisine, c’est ma grande passion.
Après le Canada, mon mari a été affecté à Paris. J’aurais aimé me perfectionner en cuisine, d’autant que mon école était jumelée avec une des meilleures écoles de cuisine en France. Il me fallait juste un visa de travail pour faire mes stages, car c’était un cursus en alternance. Cela n’a hélas pas été possible. J’ai abandonné pour cette fois-ci… mais j’ai toujours ce rêve.
J’avais dix ans la première fois que je suis venue en France. Mon père qui travaillait pour une société japonaise avait été muté à Paris. Nous habitions à Boulogne Billancourt, où nous sommes allées à l’école publique, c’était le choix de mes parents.
Depuis, cette France que j’ai connue toute petite occupe une place très importante en moi. Sans elle, je n’aurais pas eu de curiosité envers les peuples et cultures du monde, ni cette ouverture d’esprit qui m’a amenée à étudier l’anthropologie culturelle.
Une fois de retour au Japon, après trois années de vie parisienne, j’ai continué à apprendre le français. Étudiante, j’ai passé un été en France, un mois dans une école de langue et un mois en stage dans une entreprise japonaise, pour pratiquer le français commercial.
Je voulais travailler pour les Nations unies. Pour cela, j’avais besoin d’un master et d’une expérience professionnelle. J’ai été employée dans un institut de recherche à Tokyo pendant environ trois ans, avant de reprendre mes études pour obtenir mon master.
Pendant ce temps, je suis partie un an dans une université en Angleterre étudier l’anthropologie et perfectionner mon anglais, ce qui m’a permis de passer quelques week-ends en France. Ensuite, j’ai passé le concours et j’ai intégré le programme des Jeunes Experts Associés ONU. J’ai ainsi travaillé au Sénégal, puis en France à à Paris.
Entretemps, j'ai rencontré mon mari, il était au Japon. Alors à la fin de ma mission, je suis rentrée dans mon pays, d’autant qu’il n’y avait pas de poste pour moi dans cette organisation des Nations unies. J’ai alors rejoint une agence de coopération japonaise. Un temps à Tokyo, puis de nouveau au Sénégal, en tant que conseillère technique au ministère de l’éducation.
J’ai eu la chance cette fois-ci de pouvoir partir en couple, mon mari ayant eu une affectation à Dakar. Car lui aussi parle français.
Au Sénégal, j’ai fait une grave crise de paludisme. Après, les médecins m’ont interdit de rester en Afrique subsaharienne, une autre contamination m’aurait été fatale. Ça a été une période très difficile pour moi, il m’a fallu renoncer à ce métier que j’aimais tant.
J’aurais pu retourner seule au Japon, en attendant la prochaine mutation de mon mari, mais je me suis dit que ce serait bien de rester avec lui. J’avais suffisamment vécu à l’étranger pour savoir combien c’était important d’être en famille. Il a donc demandé à bouger, et nous sommes partis au Québec.
C’est là que j’ai décidé de réaliser mon rêve de cuisine : je me suis inscrite dans une école hôtelière. C’était aussi un moyen de découvrir le pays, avec des plus jeunes ; à quarante ans passés, j’étais la plus âgée et la seule étrangère dans le programme.
Après le Canada, nous avons passé trois ans à Paris, avant de rentrer au Japon. Nous étions à l’étranger depuis neuf ans. Mon corps avait besoin de petites réparations, j'ai été hospitalisée plusieurs fois pour des choses pas graves, et alors que j’allais me remettre à chercher du travail, on m’a découvert un cancer.
Tout le temps de ma maladie, je suis restée positive, malgré une grosse opération et les traitements. J’ai été très faible, cela m’a pris deux ans pour remonter la pente. Et encore trois ans pour que le risque de rémission soit presque nul. Tout va bien maintenant, je suis là, je suis guérie. Je fais juste attention à ma santé, car j’ai souvent peur de retomber malade.
Pendant tout ce temps, mon mari a voulu rester au Japon, c’était plus prudent que je sois suivie par les mêmes médecins. Et puis il y a eu la crise du Covid. Étrangement, j’ai bien vécu cette période : je n'étais plus la seule enfermée chez moi, à devoir sortir masquée. J’étais enfin comme tout le monde.
A l’annonce de ma guérison, mon mari a demandé à repartir. Il a été envoyé en Birmanie. C’était six mois après le coup d’état, la situation était stabilisée, j’ai pu le suivre.
Nous ne connaissions pas l’Asie du Sud Est, ce qui est assez rare pour des Japonais. Ce pays nous a bien plu malgré le contexte politique. Nous avons beaucoup de choses en commun avec les Birmans, les habitudes alimentaires, la façon de penser et de se comprendre sans parler.
Après deux années, un poste à Marseille s’est libéré. Ce possible retour en France, c’était une chance qu’il ne fallait pas laisser passer. Pourtant Marseille, franchement, je n’étais pas pour car j’avais eu une mauvaise expérience de cette ville toute petite.
Mais finalement, j’aime beaucoup, le climat, la lumière. C’est une autre France que Paris. Là-bas, j’étais impressionnée par tous les beaux monuments ; ici, c’est la nature qui fait la richesse de la région. Et les gens sont plus ouverts, ils me disent bonjour partout, c’est une petite chose qui fait la différence.
Quand je marche dans la rue, le monde est détendu, c’est bon vivant. A partir d’avril, il y a beaucoup d'estivants, cette ambiance de vacances me plaît bien. La France est quand même un pays riche, de par son économie mais aussi sa culture et ses paysages.
Le souvenir de la France que j’ai connue enfant a été effacé par mes autres expériences à l’étranger. Mais j’aime toujours autant la cuisine française : la nourriture bien sûr et l’esprit de partage de moments heureux, comme le plaisir de recevoir des amis. Et puis, on parle beaucoup à table, surtout de nourriture, ce n’est pas malpoli ici.
Au Japon, c’est assez rare d’inviter les gens chez soi. Certes on y mange bien, mais je trouve que les Français ont une vraie passion pour la gastronomie. Dans mon pays, la sobriété est plus appréciée. La cérémonie du thé en est le meilleur exemple.
Montrer sa gourmandise, son désir de bien manger est un peu sauvage, c’est ce que je ressens. Vous les Français, vous aimez manger des choses luxueuses, même si elles ne sont pas toujours bonnes pour la santé. Le foie gras, le bon vin, c’est fastueux, c’est Versailles !
Et puis il y a l’apéro ! Cette habitude, c’est vraiment la France. Je l’ai découverte pendant des vendanges en Bourgogne. Mon mari et moi aimons le vin français. Nous avions visité plusieurs domaines quand nous étions à Paris. En Bourgogne, j’avais été interpellée par l’attention portée à la qualité des repas servis aux vendangeurs. J’avais proposé mon aide en cuisine pour l'année suivante.
Le propriétaire prenait le temps de l’apéro à cinq heures de l’après-midi. Il me proposait à chaque fois de me joindre à l’équipe. Moi, j’avais plein de choses à faire avant le dîner, j’étais très sérieuse, alors je refusais. Pourtant, il insistait. C’est grâce à lui que j’ai découvert cette habitude, et je regrette beaucoup de ne pas avoir pris ce temps, parce qu’il n’est plus là malheureusement.
J’aime la liberté en France, chacun fait un peu ce qu’il veut. Ce n’est pas mal vu ici de poursuivre ses envies. Vous les Français, si vous n’aimez pas quelque chose, vous le dites car la priorité c’est soi alors qu’au Japon, ce sont les autres. Donc en France, je me permets de me comporter un peu plus librement.
Une amie m’a fait découvrir l’association AVF, il y a des antennes partout en France. La branche PACA est très active, par le nombre de parisiens qui viennent vivre ici. Elle permet aux nouveaux arrivants de se faire des amis et de découvrir la ville. C'est très ouvert comme groupe. Les vendredis matin, je marche au parc Borély avec quelques membres, nous parlons de beaucoup de choses, j’aime beaucoup. Cet endroit, c’est mon jardin secret. Là, je suis moi-même, je ne suis pas “l’épouse de”.
Avec le métier de mon mari, nous ne restons jamais bien longtemps dans un endroit, je ne suis pas en France pour la vie. Alors ma famille au Japon, c’est mon repère et je me sens toujours éloignée d’elle. La nourriture du Japon me manque également. Le climat est différent, on ne cuisine pas la même chose, il y a des légumes, des poissons que je ne trouve pas en France.
Quand mon mari prendra sa retraite, nous rentrerons au Japon, notre maison dans la préfecture de Gunma nous attend. Mes parents l’avaient achetée dans ce village car mon père aimait beaucoup la montagne. Nous y allions à chaque vacances, où nous retrouvions la famille, car ma tante y avait aussi une maison.
Ce sera la première fois de ma vie que j'habiterai dans un endroit fixe, car depuis mon enfance, je déménage régulièrement. J’ai ce projet d’y ouvrir des chambres d’hôtes et de faire la cuisine pour les invités.
Ma vie jusqu’à maintenant a été comme un bateau sur la mer, nous ne savons pas où et quand sera la prochaine destination. Mais en gros, je suis contente, même si ce n’est pas ce que j’avais rêvé initialement.
De la France, j’emporterai mon chat Séin, que nous avons adopté en Birmanie. Et probablement, une crèche de Provence. Car à chaque fois, nous essayons de trouver un objet typique du pays où nous sommes passés, en guise de souvenir. Mais bon, nous sommes à Marseille encore quelques années, j’aurais peut-être une autre idée d'ici là.
Mille mercis à Sosei Omi pour cette mise en relation avec Akiko.