June Fujiwara 藤原淳
21 décembre 2021Julia Akatsu Stoyanov 赤津ストヤーノフ樹里亜
9 mars 2022En France, il y a la liberté d’expression, les vacances, la flexibilité latine, ce côté négociable qui me donne du courage.
Je m’appelle Akari-Lisa Ishii, je suis conceptrice lumière. J’habite à Paris depuis vingt-trois ans. Je suis née et j’ai grandi à Tokyo. J’ai eu plusieurs expériences internationales, j’ai vécu aux Etats-Unis avec mes parents et j’ai étudié à Paris même si la majeure partie de mes études s’est faîte à Tokyo.
J’ai fait les beaux-arts, puis des études de philosophie de l’urbanisme et de design industriel. A vingt trois ans, je suis venue à Paris pour apprendre le design. C’était la première fois que je m’éloignais seule de mon pays natal. J’avais eu le choix, New York, l’Italie mais la France a eu ma préférence pour sa richesse culturelle. En tant qu’étudiante, j’avais envie d’être dans une ville où beaucoup de choses étaient à apprendre en dehors de l’école.
Durant mon année à Paris, j’ai rencontré le design de lumière. La ville était tellement jolie la nuit. Je me suis dit « Woah, c’est ça qui pourrait regrouper tous mes centres d’intérêt ». Les beaux-arts, l’urbanisme, le design, la photographie, le cinéma, le théâtre, il est toujours question de lumière dans tout cela.
Et j’ai voulu être créatrice de lumière.
Je suis rentrée à Tokyo pour travailler, avec l’idée de revenir à Paris un jour pour en apprendre plus sur les techniques et les technologies, car elles sont plus avancées en Europe.
Après trois ans, j’ai trouvé un poste chez un concepteur de lumière en France. J’y suis restée cinq ans comme chef de projet avant de me lancer dans l’aventure entrepreneuriale et de monter ma société I.C.O.N.
Comme c’était à Paris où j’avais tout appris, j’y suis restée. Je suis à cheval entre la France et le Japon, où j’ai également une société. Avant la crise sanitaire, je partageais mon temps entre Paris, le Japon et ailleurs dans le monde. Les voyages reprennent un peu aujourd’hui.
Cette diversité me plaît beaucoup, changer d’air, de culture, de nourriture. Ce métier me permet de rencontrer la diversité du monde, des personnes, des pays, des parcours de vie, des sujets. En termes d’échelle, de délais, c’est très varié, je m’occupe de grand urbanisme comme de petits objets.
La France est un des pays les plus avancés dans mon métier. Il y a un bon équilibre entre le côté artistique et le côté technique, avec une réelle démarche de création soutenue par la technologie. Cet équilibre est très étudié, le matériel disponible en France est plus sophistiqué qu’au Japon par exemple.
Pourtant l'inventeur de la LED blanche, le Dr Nakamura est japonais, il a eu un prix Nobel. Les Japonais sont fiers de cela, mais dans mon pays on est plus doué pour la puce que pour les produits d’éclairage.
A y repenser, la France, c’était un rêve d’adolescence. Je suis venue la première fois à dix sept ans, en vacances avec mes parents.
La première chose que mon père m’a emmenée voir est le musée de Cluny. Il est historien, il est spécialiste de l’histoire du droit. Il voulait me montrer les strates qui se trouvent sous nos pieds à Paris, depuis le moyen-âge jusqu’à maintenant. Aussi l’île de la cité, le début de la cité, de la ville de Lutetia, c’est quelque chose qui n’existe pas à Tokyo. Cela m’a impressionnée.
Il me disait « C’est ça la ville ». Et je m’étais dit « C’est là que je veux habiter un jour ». Plus tard, quand je suis partie vivre à Paris, il m'a dit en rigolant « C‘est de ma faute », je le taquine encore avec ça aujourd’hui.
Mes parents ont tous les deux étudié et fait carrière en Europe, ils comprennent ma décision d’habiter à Paris, c’est quelque chose de normal chez nous de partir en Europe.
Je trouve que Paris est une ville moyenâgeuse. Elle est petite en taille, ce qui me plaît, par contre tout est fermé le dimanche. Il y a des grèves, des manifestations, de la violence et de l’insécurité mais c’est moins la saleté qu’il y a vingt ans. On est gâté au Japon, Tokyo est une ville aseptisée et sûre, même si cela se dégrade.
D’un autre côté, en France, il y a la liberté d’expression, les vacances, la flexibilité latine, ce côté négociable qui me donne du courage. Il y a toujours une petite fente de porte restée ouverte, si on pousse avec beaucoup de force, elle pourrait s’ouvrir, alors qu’au Japon, quand la porte est fermée, elle est fermée.
J’apprécie aussi le respect de l’art et de la culture japonaise que vous avez en France. Après le séisme du Tohoku, les gens disaient que les Japonais étaient incroyables par leur calme, leur respect et leur discipline.
Et en tant que créatrice, la France est confortable. Outre le système social de support à la création, il y a la place pour les artistes, ils sont respectés. Au Japon c’est plus compliqué. Par exemple, les jeunes parisiens ont l’habitude d’aller voir des expositions et des musées, je ne suis pas sûre que cela soit le cas dans mon pays.
J’ai plein de bons souvenirs ici, les rencontres, les vacances, les fêtes, les prix que j’ai gagnés. Chaque projet que je réalise est une rencontre avec des gens, avec un lieu, c’est vrai tout le temps. J’aime beaucoup cette diversité de personnalités. Les Japonais sont plus uniformes. A cause du stéréotype qui enveloppe tout le monde, il est plus difficile d'apercevoir la personnalité de chacun. Les français sont probablement plus “fatigants” mais ils sont plus humains.
J’ai beaucoup de projets en cours, une trentaine, des expositions, de la ville, il y a beaucoup de dynamisme en vue des Jeux Olympiques de 2024 car les JO, c’est aussi de la culture et du réaménagement urbain.
La photo avec l’arc de Triomphe derrière moi, c’est parce que j’habite tout près, et que j’aimerais bien l’illuminer un jour. J’ai eu la chance d’éclairer la tour Eiffel, c’était à l’occasion de Japonismes 2018, la célébration du 160ème anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la France.
L’illumination de la tour Eiffel était le projet phare des festivités, c’était juste pour deux nuits, un spectacle éphémère qui a tourné en boucle toute la soirée. Nous avons eu l’honneur d’accueillir le prince héritier pour appuyer sur le bouton d’allumage de notre illumination.
C’était un spectacle de son et lumière, nous avons imaginé l’éclairage en doré comme les peintures japonaises, les images projetées et le son. Les lampes led en couleur dorée ont été spécialement conçues pour l’occasion. Notre compositeur a fait jouer le Boléro de Ravel avec des instruments japonais. C’est un très beau souvenir et un grand honneur qui n’est pas donné à tout le monde.
Du Japon, ce sont les onsen qui me manquent car la nourriture c’est encore faisable, mais les onsen….. il y a aussi ma maison de campagne.
Je me sens parisienne quand je donne mon opinion, quand j’essaie de m’exprimer et de participer quel que soit le sujet, pour me faire remarquer en tant qu’individu. Je ne me force pas, je m’entraîne, c’est indispensable pour m’imposer dans le milieu professionnel. Dans les conversations japonaises, j’ai parfois le réflexe de m’exprimer trop franchement, de poser une question tout de suite plutôt que de mettre de l’enrobage. Des fois je me dis « Gloups ! ».
Habiter à Paris n’est pas une excuse, en tant que Japonaise, il faut que je fasse attention. Je change aussi la tonalité de ma voix, elle est plus douce et plus haute, quand je parle japonais mais si je parle comme cela en France, cela n'est pas crédible pour faire passer mes idées.
Un jour peut-être, je repartirai habiter dans mon pays natal, tout est ouvert.
Dans ce cas, j’emmènerai du fromage, et je reviendrai régulièrement pour refaire le stock.