Jinno Raitetsu 神野来哲
14 juillet 2021Nobuko Murakami 村上敦子
8 septembre 2021J’ai appris tellement de choses sur mon pays depuis que je l’ai quitté. Et même si je ne regrette pas de vivre en France, j’aimerais maintenant y retourner.
Je m’appelle Emiko Kieffer, je suis venue vivre en France il y a vingt ans, avec mon mari français et nos trois enfants. Nous habitons dans le Quercy, dans une maison que nous avons retapée, nous faisons chambre d’hôtes.
Après mes études de lettres, j’ai travaillé quelques temps dans un bureau à Tokyo, j’ai arrêté après quelques années et j’ai voyagé, dans mon pays, à Paris.
J’ai rencontré mon mari au Japon, il habitait à la campagne dans les Alpes japonaise. Moi, j’étais de la ville, de la banlieue de Tokyo.
Je n’ai regardé que lui, je l’ai suivi sans réfléchir. Nous nous sommes mariés, voilà comment ma vie à la campagne a commencé, c’était nouveau pour moi. Je ne savais pas planter un clou, ni même cuisiner. Planter des fraises, faire de la confiture, on ne s’ennuie jamais.
Quand j’ai eu mes enfants, j’ai continué à aider dans les rizières, comme je pouvais. C’était une belle expérience avec le recul.
J’ai même écrit un petit essai sur cette vie à la campagne, ce que j’ai appris de la terre, sur cette vraie vie. En vérité, ce n’était pas facile tous les jours d’y vivre.
À l’époque, je pensais m’être débrouillée par moi-même, de toutes mes forces. J’ai compris avec le temps que c’était grâce au plein support de mes parents et de mon mari. Il avait vécu longtemps dans la vieille tradition japonaise, il connaissait mieux ce Japon rural que moi, une citadine.
Au village, les anciens étaient très gentils et généreux avec moi, ils m’ont appris beaucoup de choses sans rien dire. Ces expériences et ces souvenirs avec eux sont des trésors dans mon cœur.
Quand je suis arrivée en France, j’ai acheté un ordinateur pour rester en contact avec les informations japonaises. Grâce à internet j’ai trouvé plein d’informations sur l’histoire et la culture de mon pays, hors des médias habituels. J’ai découvert plein de livres que j’ai achetés et lus. Je suis devenue une accro à la lecture.
Car depuis que je vis en France, je cherche à comprendre, des choses qui me questionnaient depuis que j’étais toute jeune et d’autres qui sont apparues depuis que je suis ici. Chaque jour, chaque moment de la vie quotidienne, j’ai cherché les réponses le plus simples possible.
Depuis toujours j’aime comparer les cultures, j’avais besoin de comprendre, pour parler avec les Français, qui des fois connaissaient mieux le Japon que moi.
Et puis mon mari est guide, il amène des groupes de voyageurs français au Japon, alors je l’aide à préparer les explications. J’écris en français, après nous regardons ensemble pour corriger. D’ailleurs je n’ai jamais autant visité mon pays que depuis que nous habitons ici.
Au fil du temps, la racine de la culture japonaise, la façon de penser du Japonais s’est concentrée dans ma tête. J’ai découvert que c'était le shintô.
J’ai compris que le shintô était la source de ma manière de vivre et de penser.
Je suis allée visiter les lieux sacrés du Japon, et j’ai parlé avec des prêtres. J’ai appris et compris beaucoup de choses, alors j’ai voulu écrire un livre très simple pour expliquer aux français mon pays.
J’ai mis quelques années pour le terminer, j’ai écrit en français, pour dire les choses avec les bons mots, c’était important pour moi. Mon mari m’a beaucoup aidée, chapitre après chapitre, nous avons travaillé à deux pour relire et corriger. J’ai trouvé un éditeur, je suis contente.
Ce livre est un cadeau pour ma famille. Pour les Japonais vivant à l’étrange comme moi je l’ai voulu comme un modèle pour expliquer le shintô aux étrangers. J’aimerais bien le faire traduire en anglais.
Ma fille ainée avait douze ans quand nous sommes venus vivre en France, j’en avais quarante.
Nous avions le projet de faire chambre d’hôtes, je ne savais pas quoi faire d’autres car je ne parlais pas français. Voilà comment nous sommes arrivés ici dans les plateaux du Quercy.
Mes enfants ne parlaient pas bien français, alors je suis allée à l’école du village avec eux pour les aider à communiquer. Le maître avait demandé à mon mari, il était occupé à refaire notre maison, alors c’est moi qui y suis allée. J’ai enseigné mes maths tous les matins, c’était intéressant, cela m’a permis d’apprendre le français.
Notre vie en France n’a pas été facile au début, j’avais trois enfants petits, nous vivions dans le chantier, dans la poussière.
Le plus éprouvant a été les déboires avec l’administration et avec les gens qui ont travaillé sur le chantier. La vie en France est compliquée de ce point de vue-là, les gens manquent des fois de sérieux, on les attend, ils ne viennent pas, ils ne tiennent pas leurs promesses.
Bien sûr il y a aussi des problèmes au Japon, mais pas dans ce niveau-là, les gens sont plus aidants, ils viennent aux rendez-vous, et respectent les horaires.
Au début, je pensais que c’était parce que nous étions étrangers, et je me suis aperçue que c’était comme ça pour tout le monde.
J’écris tous les jours, j’ai l’idée d’un autre livre, en japonais cette fois-ci, un essai sur la vie à la campagne, quelque chose de plus léger. Je manque un peu d’énergie, il faudrait trouver une maison d’édition, et au niveau économique, ce n’est pas simple.
Pour l’instant, ce qui m’importe est d’accueillir de nouveau les touristes dans notre maison.
J’aime vivre ici, dans la campagne française, les paysages autour, je peux les admirer depuis ma fenêtre.
Malgré tout, ce qui me manque le plus, en gros c’est tout du Japon ! Notre pays, c’est notre maison quand même.
Les saisons sont plus marquées, autrefois il y en avait soixante-douze, mais cela change à cause du réchauffement climatique. Le dernier jour de la saison de pluie, il y a un orage et on sait qu’après la pluie va s’arrêter. Le lendemain, il fait beau, le soleil est très haut, il y a le chant des cigales, la forme des nuages a changé. Tu savais qu’au Japon, les nuages ont un nom différent selon la saison ?
J’ai connu une vieille Japonaise qui a vécu en France depuis ses cinquante ans. Elle est décédée à plus que 90 ans. Elle aimait tellement la France. Mais le fait que même elle, ait eu la nostalgie de son pays natal, m’a perturbée. Je me demande si c’est le destin de toute personne qui vit dans un autre pays que le sien ?
J’ai appris tellement de choses sur mon pays depuis que je l’ai quitté. Et même si je ne regrette pas de vivre dans un pays étranger, j’aimerais maintenant y retourner. Pour de nouveau écouter les histoires de nos vieux amis du village.
Dans la réalité, ils sont presque tous décédés, je suis ici en France avec mon mari dans notre belle maison, et je voudrais rester vivre près de nos enfants.
Alors y retourner, c’est simplement un rêve, mais pourquoi pas ? Personne ne connaît l’avenir, on verra. Que sera sera ! Mon voyage continue.
Si cela devait se faire, j’amènerais tous mes souvenirs et toutes mes expériences. Et ce gros buffet là-bas acheté sur leboncoin.fr, et les quelques tableaux aux murs de notre chambre d’hôtes.
Avec Emiko, nous avons le même éditeur, les Editions Sully-Le Prunier. Il fallait que je l'invite à participer, c'était évident
Emiko Kieffer"Le shintô, la source de l’esprit japonais" (Éditions Le Prunier Sully)
Chambre d'hôtes Le Chant du Coq