Tomoaki Shibata 柴田友彰
14 septembre 2020Avec le temps, je me suis fait beaucoup d’amis français dans la région, c’est ce qui me fait rester ici en France.
Je m’appelle Hiromi, je suis maman de trois grands enfants et j’habite à Anglet au Pays basque depuis 2001.
Je suis professeur de japonais. Je donne des cours particuliers, surtout à des lycéens. De tous les métiers que j’ai fait, c’est celui que je préfère. J’ai choisi le jardin de la médiathèque de Biarritz pour la photo, car je viens des fois ici pour mes cours. Il y a des expositions, je peux emprunter des livres. J’aime bien.
Je viens de Fukushima, j’ai fait mes études de sociologie à Tokyo. J’ai travaillé quelques années dans l’édition, le temps d’économiser pour partir au Brésil appendre le portugais. Plus jeune, j’avais visité l’Espagne et le Portugal, la langue me plaisait. Je suis restée au Brésil pendant deux ans. Je donnais des cours de japonais, je faisais des traductions, je travaillais pour un journal japonais et pour la radio. J’ai bien aimé la vie là-bas, j’ai bien fait la fête, j’y ai même passé mon brevet de pilote d’avion.
Après, je suis partie en Californie pour faire un master. J’avais envie de connaître les Etats-Unis aussi. Là-bas, j’ai travaillé dans des hôtels et donné des cours au lycée. J’ai rencontré mon mari, il est français, nous nous sommes mariés, ma fille est née et nous sommes partis à Hawaï. J’étais training manager dans un grand magasin, j’enseignais la langue et la culture japonaises aux employés, car là-bas, 90% des touristes viennent du Japon. J’ai eu mes deux fils, je travaillais beaucoup, je suis tombée malade, alors nous sommes rentrés en France ; quelques mois en Bretagne, puis ici au Pays basque, car mon mari avait une maison familiale pour nous accueillir.
Après notre séparation, je suis restée en France pour les enfants. C’était difficile pour nous quatre, nous ne parlions pas français. Une fois à l’école, c’était plus simple pour eux, ils m’ont aidée, pour écrire aux professeurs par exemple. Aujourd’hui encore, nous nous parlons en japonais. Ils ont eu tous les trois 20/20 à l’épreuve de japonais du bac. J’essaie de leur transmettre la culture de mon pays, mais ils sont bien français.
Je me souviens aussi de la première fois où j’ai conduit, je suis rentrée chez moi en pleurs, les gens ici sont très agressifs au volant. Aujourd’hui, ça va, je gère.
Avec le temps, je me suis fait beaucoup d’amis français dans la région, c’est ce qui me fait rester ici. Mes enfants font de la natation en compétition, mon fils ainé a d’ailleurs fait sport études à Bordeaux. Alors les week-ends, depuis une dizaine d’années, je suis « officiel » au club de natation, je gère le chrono et je suis juge aussi. J’y ai rencontré un groupe de bénévoles très chouette.
En France et aux Etats-Unis, ce qui est bien c’est qu’il y a toujours la porte ouverte pour apprendre quelque chose, il n’y a pas de limite d’âge. Depuis mes cinq ans, je voulais jouer du piano, c’est très cher au Japon. Mes trois enfants sont allés au conservatoire, d’abord pour y apprendre le piano, puis l’orgue car le professeur était plus sympa. Je lui ai demandé si c’était possible d’apprendre à mon tour, cela fait dix ans maintenant que je joue en tant qu’amateur. Au début, je ne comprenais rien au solfège, j’apprenais tout par coeur. Je joue du Bach, j’ai fait quelques auditions. Un jour je donnerai mon propre concert dans une église, parce que c’est là où il y a des orgues. Tout ça n’aurait pas été possible au Japon.
Natation, musique, échecs, tennis, quand mes enfants étaient petits, j’ai vécu dans ma voiture, ils pratiquaient beaucoup d’activités. Avec les championnats d’échecs, nous avons visité pas mal de villes en France, c’était bien.
Récemment j’ai créé un groupe franco-japonais sur MeetUp. J’organise des rencontres pour faire découvrir la culture japonaise. J’ai plus de 350 membres, tous français.
Des fois j’ai l’impression que vous les français, vous n’êtes pas heureux. Vous avez tout, mais vous vous plaignez souvent. J’ai vécu au Brésil, là-bas, les gens ont peu de choses pourtant ils sont gais et contents. Je ne comprends pas pourquoi vous êtes comme ça.
Ce qui me manque du Japon, c’est la nourriture, les ingrédients pour faire la cuisine. A la maison, nous mangeons du riz tous les jours, c’est facile de trouver du riz japonais, mais pas les algues, ni le reste. Il n’y a pas de restaurants vraiment japonais ici, il faut aller à Paris.
Je ne retourne pas souvent dans mon pays. Pour ma mère, être divorcée c’est une honte, elle est très traditionnelle. Au début, elle me disait « Retourne avec ton mari ». Il y a aussi ma soeur là bas, elle comprend mieux, mais on se voit peu. Elle ne vient pas me voir en France, par exemple. J’ai encore des amis du lycée et de l’université, ils ne viennent pas me voir non plus car ils travaillent beaucoup. Alors c’est moi qui vais au Japon.
Ce serait difficile pour moi de repartir habiter dans mon pays. Mes amis sont ici, j’ai perdu la mentalité japonaise, je suis plus libre, je peux ne pas faire comme tout le monde. Mes enfants sont grands, mon dernier fils a dix neuf ans. C’est un peu angoissant de les voir grandir, peut-être qu’ils ne vont pas rester en France, ce n’est pas grave. La petite amie de mon fils ainé est américano-japonaise, ils se sont rencontrés en Californie. Il était parti là bas étudier un semestre à l’étranger. Elle habite à la maison depuis le début du confinement, elle est arrivée de Berlin où elle participait à son tour à un programme d’échange. Je suis contente, je m’entends très bien avec elle.
Maintenant qu’ils sont grands, je peux voyager, aller voir mes amis à Vancouver, à Saint Petersbourg (je parle un peu russe aussi), j’en ai un peu partout sur la planète. Le voyage était prévu cette année, mais avec la Covid, ce sera peut-être pour l’année prochaine.
Hiromi a été invitée par mon amie Eve Rastel, merci Eve.