Nobuko Murakami 村上敦子
8 septembre 2021Yuji Suzuki 鈴木雄治
9 octobre 2021Je n’ai jamais pensé partir de France, mais si il y a du travail au Japon, si je peux réaliser mon projet et contribuer à changer la Société, alors pourquoi pas.
Je suis né en 1942 à Nagoya. Je suis resté chez mes parents jusqu’à mes dix-huit ans puis j’ai quitté la maison pour aller à l’université. Après mes études, j’ai travaillé à l’Université des Sciences de Tokyo, je donnais des conférences sur la conception architecturale.
Depuis le lycée, je voulais partir à l’étranger. Pour connaître d’autres paysages et d’autres cultures, et pour réfléchir dans d'autres langues que la mienne.
A vingt-neuf ans, j’ai quitté le Japon. A cette époque, je m’interrogeais sur l’hégémonie occidentale qui prévalait, avec le poids de l’argent du système capitaliste, le progrès et le développement sans fin. En même temps, je m’intéressais au mouvement hippie et à la culture indienne qui semblait être à l’opposé de ce système.
J’ai d’abord envisagé de partir un an. Au lieu d’aller directement en Inde, ce pays qui m’attirait, j’ai pensé qu’il fallait aller voir la civilisation occidentale qui était si controversée au Japon et j’ai donc prévu de passer par l’Europe.
Et comme je m’intéressais aussi au mouvement dadaïste et aux mouvements de 1968, cela tombait bien.
Ainsi, j'ai quitté le Japon pour la première fois de ma vie. Je suis parti du port de Yokohama vers le port de Habarousk en Russie, puis j’ai traversé la Sibérie pour arriver à Moscou. De là, je suis allé à puis Helsinki via Sterling Land, puis l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France.
C’était à l’époque l’itinéraire le moins cher pour se rendre du Japon en Europe.
De tous les voyageurs, j'étais le plus âgé. Les plus jeunes étaient ravis de ce "voyage du pauvre", mais j'étais choqué de voir qu'ils avaient bien plus que toute ma fortune.
J'ai ainsi réalisé qu’il me faudrait plus d’argent pour arriver en Inde, et donc qu’il me fallait en gagner. J’ai cherché en vain du travail à Londres, puis je suis retourné à Paris, où j’ai eu plus de chance.
Je ne peux pas dire que j’aimais ou que je n’aimais pas la France. A un moment, cela a été difficile de retourner au Japon et pour aller en Inde c’était encore plus difficile, alors je suis resté à Paris, un peu par facilité. Et finalement, je ne suis jamais allé en Inde.
J’ai trouvé du travail dans un cabinet d’architectes. Un premier contrat de quelques mois, et après j’ai rejoint Jean Prouvé qui était très connu comme bâtisseur. Il a été président du Jury international pour le concours du Centre national d'art et de culture, qui est devenu le Centre Pompidou.
Il m’a proposé de travailler pour les architectes qui avaient gagné le concours, Piano & Rogers et j’ai participé à la construction du Centre.
Après ce projet, j’ai arrêté de travailler pendant un an. J’ai profité de mon temps libre pour faire des performances.
J’ai ensuite rejoint le cabinet de Joseph Belmont. L'année d’après, il a été nommé directeur de l’Architecture au sein du ministère de l’Equipement, il a fermé le cabinet et j’ai été licencié.
Étant au chômage, j’en ai profité pour prendre des cours à la fac d’urbanisme pour avoir une vision plus globale et j’ai continué mes performances un peu partout et même dans les musées.
J’ai travaillé dans un autre cabinet et quand j’en ai eu marre de bosser pour les autres, je me suis associé avec un jeune architecte français, Jacquelin Preuss, qui avait vécu sept ans au Japon. Nous avons fondé en 1982 le studio Preuss et Naruse rue des Petites Ecuries à Paris. Après dix années ensemble, j’ai quitté le cabinet pour créer l’atelier Kaba et lui est décédé, malheureusement.
Le métier d’architecte est dur. Pour trouver du travail, il faut participer à des concours, et pour ça, on a besoin de références, qui se font par les réalisations, les concours gagnés et le soutien de la famille et de son réseau. Beaucoup d’architectes reconnus sont issus de grandes familles françaises qui les aident pour se faire des références.
Moi je n’ai pas étudié en France, je n’ai pas de réseau mais je suis satisfait de mon mode de vie indépendant de la famille, des diplômes et des relations.
Je crois que le travail ne vient pas que du talent, il y a une part de chance.
Aujourd’hui, le métier d’architecte évolue, il y a toujours de grands projets avec de grands promoteurs et de grosses entreprises, mais pas comme avant, pas avec une vraie approche architecturale comme je la conçois.
Quand je suis arrivé à Paris, j’ai trouvé la ville très dense. En parcourant les rues, j’avais l’impression de marcher dans un couloir. Paris n’est pas ce que j’appelle une ville ouverte, c’est une ville fatigante. Il y a trop peu d’espaces “vagues”, d’endroits vides et dénués de sens.
Tokyo à cette époque était moins dense, comme aujourd'hui encore.
Au niveau architectural, j’étais surpris de découvrir les murs mitoyens, car cela n’existe pas beaucoup au Japon, il y a toujours un espace entre les constructions.
Les immeubles parisiens manquent de spontanéité. Chaque bâtiment se résume à une belle façade faite pour être regardée de face, comme pour revendiquer qu’il existe. Peu d’endroits n’ont pas cette “conscience” de se montrer et d’être vus.
Cela me fatigue, je leur préfère les toits de Paris, moins ostentatoires, et les cours, moins encombrées.
Tout ceci n’est pas ma conception des choses, je suis plus attaché à la façon dont on habite les lieux.
De nombreux Japonais sont venus en France parce qu'ils aimaient la France et qu'ils en avaient envie. Moi, je n'ai pas quitté le Japon pour la France. Je n'avais donc pas pour objectif de devenir français. Mais je n'ai pas été déçu par la France.
J’ai de très bons souvenirs de ma vie à Paris, j’ai voyagé, bien mangé, rencontré beaucoup de gens et gagné quelques concours. Je trouve que dans la vie, chaque moment est intéressant.
Vivre en France m’a permis de voir le Japon de l’extérieur et j’ai peu à peu appris à relativiser. J’ai compris au fil des ans que je n’étais pas si libre de penser, car ma tête était immergée dans la langue et la culture japonaises. Je ne suis ni pour la France, ni pour le Japon, j’essaie juste de me changer moi-même.
J'espère que le reste de ma vie sera aussi agréable que possible, et utile aux autres, sans que ce soit spécialement au Japon ou en France. Je pense que l'ego d'une nation détruit n’importe quel pays, et l'ego de l'humanité met l'humanité en danger. Pour ma part, j'essaie de gommer ma nationalité et d'explorer les possibilités futures de l'humanité.
Je pense que beaucoup de Français devraient aller voir d’autres pays. Être au contact de personnes et de manière de vivre différentes permet de se forger une opinion sur quel mode de vie est bon ou mauvais.
La France n’est pas le centre du monde, c’est un petit pays, alors ce serait bien que les Français apprennent la modestie. Je les trouve souvent trop bavards, ils vivent trop dans leur tête, ou pas assez parfois.
Quand je suis au Japon on me dit que je ne suis pas japonais, c’est peut-être à cause de ma façon de penser, un peu à la marge. Maintenant, j’y vais chaque année, plus souvent qu’au début de mon arrivée en France. J’y suis retourné pour la première fois au bout de huit ans car j’étais fauché, après c’était tous les quatre ans.
Ce qui me manque le plus du Japon, c’est la nourriture. Même si j’aime le bon vin et le bon fromage, la cuisine française ne me convient pas au quotidien. Si j’en mange tous les jours, je tombe malade. Je mange peu de viande, plutôt du poisson, du nato et des légumes fermentés à la maison. J’achète mon tofu chez le chinois car les ingrédients japonais qu’on trouve à Paris sont très chers.
Mon corps a toujours le souvenir du Japon : je déteste les salles de bain occidentales ainsi que le fait de garder ses chaussures à la maison. On peut franciser son cerveau mais pas son corps, ni son estomac.
Je n’ai jamais pensé partir de la France parce que mon aventure continue, mais aujourd’hui, je ne sais pas. Si il y a du travail au Japon, si je peux réaliser mon projet et contribuer à changer la Société, alors pourquoi pas.
J’ai à cœur de travailler sur des projets d’aménagement de territoires et de créer de nouvelles façons de vivre ensemble avec les habitants. Imaginer avec eux tout un environnement de vie, au-delà des bâtiments. Un lieu égalitaire en complète harmonie avec la nature, où personne ne domine les autres par sa richesse.
Habiter au Japon pour habiter au Japon ne m’intéresse pas. Je trouve que la nationalité n’est pas importante, c’est la personne qui compte le plus.
La culture de chaque pays fait la richesse du monde et participe à sa biodiversité, au même titre que les animaux, les végétaux, les pierres et les cailloux.
Je ne sais plus comment j'ai découvert Hiroshi. J'ai visité le site de l'atelier Kaba, son travail m'a plu, je l'ai contacté, et voià !
http://www.atelierkaba.fr
2 Comments
Merci beaucoup pour ce témoignage qui réchauffe le cœur. Cela fait plaisir, d’une part d’écouter un japonais nous parler de nous, d’autre part d’entendre cette sincérité et cette humilité; nous pourrions y ajouter la poésie qui l’accompagne.
Je retiens plusieurs choses de ces paroles.
D’une part que le talent ne suffit pas, et qu’il faut de la chance. Je trouve cela juste; personnellement je n’ai pas eu cette même chance, et j’ai mis de côté l’architecture où je ne trouvais pas ma place…
Monsieur Naruse questionne aussi la place de l’architecture dans la conception actuelle des bâtiments ou des villes ( « pas avec une vraie approche architecturale comme je la conçois »); là aussi je partage ce sentiment. L’architecture a disparu de la conception.
Enfin, j’apprécie son point de vue sur Paris, ville trop dense, qui manque d’espaces de respiration, ce qui effectivement n’est pas du tout le cas des villes japonaises. J’aurais aimé montrer à Monsieur Naruse le projet que j’avais dessiné en 2001 pour aérer le Grand Paris. Le projet actuel du Grand Paris va malheureusement complètement à l’encontre de cela…
J’espère rencontrer un jour Monsieur Naruse. J’apprécie sa poésie et son ouverture d’esprit. Et j’aimerais échanger avec lui sur l’architecture traditionnelle japonaise…
Merci d’avoir lu l’article. N’hésitez pas à contacter Hiroshi pour partager vos points de vue : https://www.atelierkaba.fr/.