Eri Furuya Fabing 古谷 ファバン 恵理
19 septembre 2020Hiroko Bessho 別所広子
3 octobre 2020C’est un cadeau de Dieu de vivre ici. Parce que j’ai fait tout ce que je devais faire au Japon, on m’a donné une deuxième vie très différente, et c’est ici à Paris.
Je m’appelle Hitomi, j’habite à Paris depuis onze ans déjà. Quand je suis arrivée ici, je n’ai jamais pensé que je resterais aussi longtemps. En fait, dans la vie, on ne sait jamais de quoi demain sera fait.
Je suis contente d’être ici, la vie au Japon c’était stressant et un peu dur. Je me sens plus libre, je ne suis pas observée en permanence par les autres. On pense à tort que les Japonais ne font pas attention aux autres, au contraire tout le monde se regarde. Car pour faire quelque chose correctement, on a besoin de s’observer. Par exemple, ici au travail, les gens ne font pas attention si je pars à 18h, 19h, 20h, l’important, c’est le résultat.
Je travaille à Paris dans le service financier d’un grand groupe français, au siège. Au Japon, j’ai eu plusieurs postes dans des grands groupes japonais très conservateurs. Puis je suis rentrée par hasard dans cette entreprise française, grâce à un ami d’ami, DRH de la filiale au Japon. Il a aidé pour le déménagement de ma sœur, on a porté le frigo ensemble, on a discuté et après il m’a proposé un poste. C’est marrant.
Après j’ai été mutée à Taiwan. Mon patron de l’époque était français. Lors d’un entretien, j’ai demandé à venir au siège à Paris, c’était une simple suggestion. Et curieusement il a pris en compte ma demande, on m’a proposé un poste, un contrat d’expatriation de trois ans, j’ai eu de la chance. Je suis arrivée à Paris comme ça, alors que pour moi c’était juste une destination de voyage.
J’aurais dû rentrer au Japon après cinq ans mais c’était la récession là-bas ; j’ai eu la chance que mon patron m’ait proposé de rester avec un contrat local. J’ai dit « Oh oui, encore un cadeau de Dieu ». Mon ami qui est Français voulait aller au Japon, mais c’est moi qui ai dit non « Si tu veux aller au Japon, vas-y, moi je reste à Paris ».
La vie à Paris est tranquille pour moi, seul le métro est stressant mais moins qu’à Tokyo. Les trains sont en retard, les bus sont parfois supprimés, il y a des grèves, mais je m’y suis habituée. Je vis un peu comme si j’étais en vacances, mais tu ne le dis pas à mon employeur hein ! Même en travaillant en full time, par rapport à Tokyo, c’est un mi-temps. J’avais des réunions à 7h30 le matin, de temps en temps, je travaillais jusqu’à 23h voire minuit. J’ai beaucoup bossé au Japon. Une fois en France, après avoir rencontré mon ami, je me suis dit « C’est un cadeau de Dieu de vivre ici, parce que j’ai fait tout ce que je devais faire au Japon, maintenant on me donne une deuxième vie très différente, et c’est à Paris ».
Des fois, je passe au café avant d’aller travailler. Un croissant, un café crème et je me dis « Woah, c’est comme dans un rêve ». A Paris, il y a de nombreux parcs, ils sont faciles d’accès car la ville est petite, mais c’est plus difficile à Tokyo. Nous venons courir de temps en temps ici au parc Monceau. Pendant les grèves et après le confinement, je traversais le parc car j’allais au travail à pied, j’aime beaucoup, c’est mieux que le métro. Alors j’ai pensé à ici pour la photo.
Ce que j’apprécie aussi en France ce sont les vacances. Au Japon, deux semaines de vacances, c’est une fois dans la vie pour la lune de miel. Après on a une semaine, pour la golden week, obôn, la fin d‘année, mais ce ne sont pas des vacances. Certes, on ne travaille pas mais on va dans la famille, la golden week c’est « la family service period ».
Maintenant, j’ai l’occasion de voyager à l’étranger, il y a plein d’endroits à découvrir. Je profite des ponts pour visiter la France, parce qu'au Japon, on n’a pas ce concept du pont.
Les Français, vous pensez que les Japonais sont très polis, mais en réalité ils sont juste diplomates. Au Japon, on ne montre pas ses sentiments. Ce n’est pas très bien vu de ne pas se contrôler. On n’a pas la liberté de plaisanter, c’est difficile d’être soi-même, d’être naturel. Même après dix ans en France, je ne sais toujours pas exprimer mes émotions, c’est très compliqué. Peut-être qu’on n’a pas d’émotion ???
Vous, vous pouvez être un peu excessifs. Dans vos films par exemple, il y a beaucoup de discussions animées, des cris parfois, mon ami n’est pas d’accord avec moi mais c’est ce que je ressens.
A la machine à café, c’est encore difficile pour moi. Au Japon, on y va juste pour acheter une boisson, pas pour discuter. J’apprécie aussi les échanges lors des apéritifs avec mes amis, mais là ça « fuse », alors je me suis habituée, j’essaie de suivre, pas évident !
Mon meilleur souvenir en France ? Euh, je n’en ai pas, tout est bien. Quoique. Le premier appartement que j’ai habité à Odéon, je l’ai vu en première page dans un magazine japonais Spécial France, je me suis dit « Eh oui, c’est là que je veux habiter ! ». J’ai eu un coup de cœur. Je l’avais trouvé par hasard, pourtant c’est difficile de trouver un appartement à Paris. Il était hors budget, mais bon j’étais là trois ans, je me suis fait plaisir, il était génial.
On dit que Paris change, c’est comme un être humain, une ville, ça évolue. Ça perd son charme. Mais ça ajoute de nouvelles caractéristiques, c’est le temps qui passe.
Moi, je voudrais changer de style de vie. Avec le confinement, j’ai eu le temps de réfléchir (comme beaucoup de monde), il faut cogiter le sens de la vie. On fait les aller-retours au boulot, cinq jours sur sept, ce n’est peut-être pas ça la vie ? Plus de télétravail, voire changer de mode de travail pour être plus efficace afin de garder du temps pour réaliser ses rêves personnels. Aménager son temps entre la vie perso et le travail, vivre en harmonie, cela peut signifier aussi travailler dans d’autres endroits, pas forcément à la maison. Comme par exemple, au café ou dans un parc ?
Ce qui me manque du Japon, c'est l'onsen (un bain thermal très chaud, l'équivalent du spa au Japon). J'adore particulièrement ceux en extérieur entourés de nature.
Je ne sais pas si je repartirai un jour habiter au Japon. Je voudrais rester à Paris le plus longtemps possible, ou ailleurs en France. En discutant avec mon coiffeur lui aussi Japonais, on s’est rendu compte que beaucoup de Japonais sont arrivés en France par hasard, en se laissant guider par le fleuve de la vie, et en fait la plupart sont très heureux de vivre ici. Et c'est tout à fait mon cas.
Hitomi est une ancienne collègue, l’inviter était une évidence.