Tomoko Nakayasu 中安 智子
11 juillet 2021Emiko Kieffer キッフェル恵美子
26 juillet 2021Je suis bien ici, grâce à Nicolas et les gens de la coopérative. Le mas Saint Jean, c’est le paradis pour moi.
Je viens de Fukuoka, sur l’île de Kyushu. J’ai été maraîcher pendant cinq ans au Japon avant de venir en France. Avant cela, j’étais ingénieur en génie civil, je construisais des stations de métro, des tunnels, des piliers de ponts.
J’aimais mon travail, mais il fallait souvent bouger, partout dans le monde. C’était fatigant.
Mon grand-père a été agriculteur, il détestait ce métier. Son petit frère voulait reprendre l’exploitation familiale, mais il est mort pendant la guerre. Très vite il a changé, il a ouvert un petit supermarché dans la montagne, il vendait de tout, ça marchait bien.
Jeune, j’aurais voulu être maraîcher mais je pensais que c’était un métier qui se transmettait de père en fils, c’était faux. Heureusement j’ai rencontré Inao Nakaya à Nigorikawa Onsen à Hokkaido, j’ai travaillé chez lui pendant deux mois, il m’a appris qu’on pouvait faire comme on veut, que tout le monde pouvait être maraîcher.
A ce moment-là, j’avais démissionné de mon travail, je voyageais en moto à travers le Japon, de Hokkaido à Okinawa. Cela a duré six mois.
Encore avant, j’avais parcouru les Amériques, des USA jusqu’en Argentine. J’avais rencontré des Japonais qui habitaient au Canada avec un visa vacances-travail, ils m’ont raconté leur vie, cela m’a donné envie.
Je voulais partir habiter à l’étranger. J’avais appris un peu l’espagnol pendant mon voyage, je pensais aller en Espagne, mais il n’y avait pas de possibilité de visa vacances-travail.
Donc je suis arrivé en France, sans parler français. C’était en 2004. Je suis restée trois mois à Montpellier pour apprendre la langue. Après je suis allé à Nîmes, je voulais faire un stage chez un maraîcher. J’ai envoyé beaucoup de demandes, sans succès.
Un jour j’étais à Arles. A un rond-point il y avait des motos garées, comme je suis fan, je me suis arrêté pour discuter. Et là, j’ai vu une dame qui apportait des légumes à un magasin bio, juste à côté.
Je me suis dit que je pouvais la questionner, elle m’a donné les coordonnées de la coopérative Biogarden à Bellegarde.
J’y suis allé, Nicolas m’a accepté tout de suite. C'était début juillet, il y avait beaucoup de travail. Pendant deux semaines je suis venu de Nîmes et après il m’a accueilli chez lui, j’y suis resté neuf mois. J’ai appris plein de choses, j’ai fait les vendanges chez un ami à lui, j’ai même planté les cerisiers que tu vois là-bas.
A la fin de mon visa, je suis retourné au Japon, même si Nicolas et sa femme, Adrienne me disaient de rester pour lancer mon activité ici. Ce n’était pas mon plan à ce moment-là, même si j’étais bien en France.
J’ai fait un stage à Ibusuki, près de Kagoshima dans une coopérative pendant un an. Quand j’ai voulu me mettre à mon compte, j’ai cherché un terrain près de chez moi à Fukuoka, je n’ai pas trouvé. Alors, je suis retourné à Kagoshima. Hiroshi Maesono avec qui j’avais travaillé m’a aidé à trouver un terrain. Il m’a tout prêté, même sa maison, nous avons mangé ensemble pendant six mois.
J’aimais beaucoup cette région, il y a plein de onsen, j’adore ça. Je n’ai jamais utilisé de douche pendant cette période, j’allais au onsen tous les jours.
A un moment, je me suis dit que ce serait bien retourner en France, mais cela a été long pour obtenir un visa. Je suis revenu à Bellegarde en 2012, Nicolas m’a beaucoup aidé. Nous sommes allés en Suisse pour démonter les serres qui étaient sur le terrain de sa sœur et les ramener ici. Il m’a prêté les champs, son tracteur, la maison, on a mangé ensemble pendant quelques mois. J’ai beaucoup de chance, chaque fois j’ai mangé avec les gens qui m’accueillaient.
J’ai appris ce métier sur le tas, je ne connais pas tout. Je ne sais pas comment utiliser les produits chimiques, alors je n’en utilise pas. Pour ma santé, c’est mieux. Et ça coûte moins cher.
A Ibusuki, au onsen, il y avait des agriculteurs. Certains jours, ils étaient épuisés, pourtant c’étaient des hommes costauds. Ils disaient qu’ils avaient traité les champs dans la journée.
Voilà pourquoi je n’aime pas les produits chimiques. Nicolas m’a appris comment faire sans, je teste des nouvelles choses, pour améliorer la qualité et le rendement de ma production.
Quand je suis arrivée en France pour la première fois, à Paris, ce qui m’a surpris c’est la longueur de la baguette. Et le fait qu’elle dépasse du sachet en papier dans lequel on l’a glissée. C’était incroyable ! J’ai vite acheté une baguette et je me suis senti parisien.
Après Paris, je suis allé à Marseille, c’était différent, les gens étaient très gentils. Je cherchais l’auberge de jeunesse, je ne parlais pas français, j’avais juste un plan. Une dame a essayé de m’aider, elle a demandé à d’autres personnes. Finalement, ils m’ont tous aidé à faire un bout de chemin. Le coucher du soleil était superbe, de toutes les couleurs, j’étais heureux.
J’aime la France. Je suis bien ici, grâce à Nicolas et les gens de la coopérative. Le mas Saint Jean, c’est le paradis pour moi.
J’ai plein de bons souvenirs. Et il y a beaucoup de bonnes choses, des melons, des cerises, du raisin, des fruits qui sont tellement chers dans mon pays qu’on ne peut pas en acheter. Pourtant ça pousse au Japon.
Il y a une autre chose que j’apprécie, je ne sais pas trop comment l’expliquer. Au Japon, on appelle ça le kojin shugi, moi c’est moi, l’autre c’est l’autre, c’est être individualiste. Je préfère, faire comme j’ai envie de faire sans être observé. Par exemple, dans mon pays, c’est bien de changer ses habits tous les jours, car les gens vous regardent. En France, ça va, les autres ne font pas attention.
Le truc qui m’embête le plus en France, ce sont les factures et les formalités administratives.
La banque, le téléphone, les magasins, ce n’est pas toujours sérieux. Au Japon, ça marche tellement bien, je ne suis pas habitué.
A la banque, une dame m’a dit « Ce n’est pas mon travail, c’est mon collègue, je ne peux pas vous aider » et elle m’a laissé en plan. J’ai déménagé l’année dernière et pour changer d’opérateur internet, ça a été la galère. Récemment j’ai eu un problème avec ma ligne, j’ai attendu deux semaines pour qu’on répare. Tout cela est inimaginable au Japon.
Ma femme est japonaise, elle habitait à Lyon avant de venir ici. Elle est professeur de japonais. Pendant les vacances scolaires, nous avons accueilli les enfants de nos amis, ils sont franco-japonais. Ils sont restés une semaine. Après les cours, ils venaient avec moi ramasser les pommes de terre, les patates douces, les daikons et après ils cuisinaient avec ma femme. Ils m’ont aidé au marché, ils faisaient la traduction. Maintenant ils sont grands, cela ne les intéresse plus. Nous n’aurons pas d’enfants cet été, mais cela serait bien de refaire.
Du Japon, ce sont les onsen, les ramen et les kaiten yaki qui me manquent le plus. Et ma nièce, elle a déjà 16 ans, elle n’est jamais venue en France.
Si c’est possible, j’aimerais habiter ici jusqu’à la mort. Mais peut-être que je devrais retourner au Japon, pour m’occuper de mes parents ou de ceux de ma femme, je ne sais pas. Je n’amènerai pas beaucoup de choses, juste quelques vêtements. Et mes deux médailles du marathon d’Arles !
C'est une connaissance japonaise qui m'a soufflé le nom de Jinno. Comme je vais souvent à Arles, j'ai fait un détour par Bellegarde.
Retrouvez Jinno au marché d'Arles les samedis matins.
https://www.instagram.com/biojinno/