Kotimi コチミ
23 novembre 2020Kiriko Nozaki 野﨑霧子
7 février 2021J’ai l’impression de vivre dans un entre deux, alors j’essaie de mettre cela dans mes créations.
Je m’appelle Kaya Matsuda, j’habite à Lyon, je suis artiste plasticienne. Je fabrique des fleurs en tissu, après avoir étudié les arts textiles. J’ai exposé une seule fois en France mais au Japon, j’expose une ou deux fois par an depuis l’université. En fait, la vraie première fois où j’ai montré mes créations, j’avais six ans, c’était avec ma mère. Elle est céramiste, chaque année elle participe au grand festival de poterie, le Kasama-no-Himatsuri dans la préfecture de Ibaraki là où j’ai grandi. Ce jour là, elle avait mis quelques une de mes pièces sur son stand. J’ai ce besoin de créer depuis toujours, sinon je ressens un vide en moi.
J'aimerais bien retranscrire dans mon travail ce que je ressens en vivant en France. Maintenant, je porte un autre regard sur le Japon, je vois mon pays différemment de quand j'y étais, j’ai l’impression de vivre dans un entre deux, avec de nouvelles habitudes et des habitudes que je garde, alors j’essaie de mettre cela dans mes créations.
Je suis inspirée par la nature, les animaux et les phénomènes naturels. Je m’intéresse aux théories sur l’évolution de la vie, à la physique des particules, à l’infiniment petit. Je me sens reliée à ça. Où que je sois, il y a forcément des histoires avec les tissus, la matière, la nature des fils, j’aime cette recherche. A Lyon je vais au Salon de la soie par exemple. Je fais les teintures moi-même. Pour les compositions, je vais dans les brocantes pour trouver de petits objets.
Je suis née en Allemagne. Mes parents ont fait les Beaux Arts de Munich, je suis arrivée pendant leurs études. Je viens d’une famille d’artistes, mon père est sculpteur, ma mère céramiste. J’avais deux ans et demi quand ils sont rentrés au Japon. Petite, j’aimais bien la France et l’Angleterre, mais je ne me rappelle plus pourquoi. Mon rêve était de partir habiter là-bas. Mon premier voyage en France, c’était quand j’étais étudiante, j’ai même passé quelques jours à Lyon car il y a une riche tradition du textile dans cette ville.
Et puis j’ai rencontré Pierre mon mari. Cela fait sept ans déjà, c’était à une nabe party (le nabe est une sorte de pot-au-feu japonaise) chez un ami commun à Tokyo. Après quelques mois, il a emménagé chez moi. Quand mon contrat de travail à l’université a pris fin, je me suis dit pourquoi pas aller en Europe. J’en ai parlé avec Pierre. Lui, il aime Tokyo, il travaille de la maison pour une société japonaise, donc rester au Japon ou partir, cela lui allait. Nous avons finalement décidé de venir à Lyon, à cause des soieries et de ses industries textiles. Mon rêve d’habiter en France se réalisait. Du coup on s’est marié avant de partir, il y a trois ans.
Je ne savais pas si j’aimerais la vie en France, maintenant je sais, je préfère ici. Au Japon il y a beaucoup de pression sociale, surtout de la part des voisins et surtout à la campagne, on ne peut pas faire ce qu’on veut. Et puis, les petits retards étant courant en France, c’est moins stressant.
J’apprends petit à petit votre langue. J’aime bien toutes vos expressions très imagées, cela me fait rire. Hier en faisant des crêpes avec Pierre, j’ai découvert « On n’y va pas avec le dos de la cuillère ».
A mes cours de français, j’ai rencontré une compatriote, elle aussi mariée à un français. Son père à lui répare les métiers à tisser des canuts, son atelier est juste à côté de chez nous. Cette rencontre c’est la force du destin, nous sommes devenues amies.
J’aurais aimé aller là bas pour la photo, mais ce n’est pas possible en ce moment, à cause de la covid. C’est la vraie ambiance d’antan, avec le bruit des métiers à tisser, les textiles qu’on peut toucher.
Alors j’ai pensé à l’association Atelier Soieries Vivantes, dans la rue près de chez moi. C’est un atelier de passementerie et de tissage avec de vieux métiers à tisser qui fonctionnent encore, c’est trop beau.
Ce que j'aime le plus en France, ce sont les échanges avec les autres. Par exemple, si on trébuche dans la rue au Japon, tout le monde autour fait comme si il ne nous avait pas vu et on doit garder cet embarras pour nous, alors qu'en France, tout le monde va rire et te demander si ça va. Ce genre de conversations arrive quotidiennement, comme au supermarché où on te dis "Bonjour" le matin, "Comment allez-vous ?" avec un sourire et après on discute. Ça n'arrive pas vraiment au Japon, c’est toujours poli, mais c’est froid, chacun garde sa distance. Ici c'est quelque chose que j'aime beaucoup, comme de petites histoires qui naissent de partout.
Je garde un beau souvenir de nos vacances dans la région niçoise, aller visiter les endroits où Picasso, et Matisse ont vécu était fantastique. Le musée de Picasso était fermé, alors il faudra qu’on y retourne. A Grasse, nous avons fabriqué notre parfum, alors quand je le mets cela me rappelle ces bons moments.
Ce qui m’a surpris la première fois en France, c’est la saleté des toilettes publiques ou dans certains restaurants. Au Japon c’est inimaginable. Vous avez aussi plein de bâtiments anciens, au Japon un bâtiment de plus de trente ans, c’est beaucoup. J’habite un vieil immeuble à la Croix Rousse, l’ascenseur est vétuste, les marches de l’escalier sont usées. Au Japon on aurait tout refait à neuf depuis longtemps.
Des fois, j’aimerais bien que les français s'excusent, et qu'ils le fassent sincèrement. J'aimerais aussi que mes colis me soient livrés correctement. Il y a beaucoup des fois où ils n'arrivent pas, d’autres où on me demande de venir les chercher au bas de l’immeuble.
Mon projet maintenant, c’est de faire une exposition en France, j’ai repéré quelques endroits, je termine mon portfolio et après j’irai voir. Je ne sais pas trop comment cela marche ici. Au Japon, c’est différemment, je travaille avec d’autres artistes, nous faisons des expositions collectives, c’est plus facile. Souvent, on me propose de me joindre un projet. Cet automne par exemple, on m’a sollicitée pour participer à l’exposition d’inauguration du musée Yanaka no mori à Tsukuba. Mais cela ne suffit pas à vendre même si ce que je préfère, c’est montrer mon travail et rencontrer des gens.
Mes amis du Japon et la nourriture me manquent un peu, même si j’aime bien manger français. Et les onsen bien sûr. Ça m'irait de rester en France toute la vie, même si j'aimerais bien voir l'horizon d'autres pays, Londres ou la Hollande. On verra. Dans tous les cas, ce sera avec Pierre. Et si un jour je vais à un autre endroit, j’amènerai des objets propres à là d’où je viens, des tissus ou des fils bien sûr. Et de la France, j’amènerai l’esprit zen à la française et votre système D !
Merci Pierre pour l’aide à la traduction.
Mes amitiés lyonnaises m'ont menée jusqu'à Kaya et Pierre. Alors naturellement, j'ai invité Kaya.