Kohei Ohata 大畑鉱平
12 juin 2022Sumie Masumura 増村純恵
19 novembre 2022Je ne suis pas un Japonais conventionnel, je dirais que je suis un Japonais “twisted”.
Je suis Japonais, je viens de la région d’Osaka. J’ai quitté mon pays à dix-huit ans, pour aller étudier l’anglais à l’université de Perth en Australie. J’ai vécu là-bas pendant plus de trente ans.
Mon père vivait en Indonésie, il ne voulait pas que j’aille à l’université au Japon, il disait que la vie de salaryman japonais n’était pas pour moi. Il m’a conseillé d’aller à l’étranger, dans un endroit où il n’y aurait pas trop de Japonais. J’ai pensé qu’avec son expérience, il savait ce qui était le mieux pour moi. L’Australie étant proche de l’Asie, c’était facile d’aller le voir pendant les vacances. Voilà comment j’ai atterri à Perth.
J’ai dû rentrer au Japon au bout de quelques mois pour raisons familiales. Puis j’ai travaillé pour pouvoir repartir en Australie. De retour à Perth, j’ai trouvé du travail rapidement et je me suis marié.
J’ai été guide touristique assez longtemps, j’ai aussi travaillé à l’office de tourisme, dans le service comptabilité puis à l’informatique, ce qui correspondait à mes études. Durant la crise économique de 2008, le tourisme s’est effondré et après, les Japonais ont changé leurs habitudes de voyage, ils s'organisent seuls, ils ont moins besoin d’un guide.
Grâce à un ami, j’ai rejoint une entreprise de BTP où j’ai occupé plusieurs postes. Avant de venir en France, j'étais safety officer, je m’occupais de tous les sujets liés à la sécurité du personnel et des chantiers.
Ma femme est française, elle a habité au Japon quelques années mais je l’ai rencontrée à Perth. Bien que née en Provence, elle a toujours vécu en Australie. Revenir en France, c’était son rêve. Mais avec trois enfants, ce n’était pas simple, et puis j’avais une bonne situation. Moi aussi je voulais découvrir la France, je pensais que connaître ce pays me permettrait de mieux comprendre ma femme et ses parents, je me disais que nos incompréhensions étaient culturelles.
Nous sommes arrivés à Arles à l’été 2019, car mon épouse a de la famille ici. C’était la première fois pour mes enfants et pour moi, et un peu pour elle aussi, car elle n'était pas revenue depuis son enfance.
Je ne pensais pas trouver facilement un emploi car je ne parle pas français. Sinon, j’aurais cherché dans mon domaine. J’étais prêt à tout faire. Comme j’aime cuisiner, j’ai même envisagé de me lancer dans la restauration.
Et puis, j’ai trouvé ce job de cuisinier au Mecha Uma. En discutant avec Jinno au marché, j’ai appris que Kohei cherchait quelqu’un pour son restaurant. Je l’ai contacté, et il m’a dit banco. En fait, il était surpris de trouver un Japonais capable de faire la cuisine à Arles.
Mes beaux-parents m’ont toujours vanté le bon goût de la nourriture française, ils me disaient quand tu iras en France, il faudra manger ça et ça… Je m’attendais à des trucs fabuleux. J’ai été un peu déçu lors de ma première visite au supermarché. Le temps a passé, peut-être que ce n’est plus comme quand ils vivaient en France ? Dans la région, les légumes sont supers, il y a du vin et du fromage, mais les steaks ne sont pas aussi bons qu’en Australie.
Je trouve les gens que je croise ici très ouverts. Les Australiens descendant des Anglais, ce sont des insulaires, comme les Japonais. Il y a une sorte de barrière dans les relations à autrui, ce que je ne vois pas en France.
Pendant le confinement, j’ai rencontré des gens très sympas. Comme je ne connaissais personne, j’ai lancé un appel sur le Facebook de la ville “Hello my name is Ken, I’m Japanese, I’m looking for friends to learn French and I can teach English or cook for you”. J’ai reçu une avalanche de messages pendant deux heures non stop, je ne m’attendais pas à ça.
Un gars m’a invité à une soirée secrète, j’y suis retourné plusieurs fois, je cuisinais pour eux. Maintenant quand je me promène en ville, je rencontre tous ces amis. C’est un très bon souvenir, malgré le contexte.
En France, je n’arrive pas à comprendre les gens qui jettent des choses dans la rue. Ils pensent que d’autres ramasseront pour eux, ils s’en foutent. Moi je trouve ça peu respectueux. La ville est si belle, elle pourrait l'être encore plus si elle était propre, d’autant qu’il y a beaucoup de touristes.
Côté bureaucratie, la France est comme le Japon. S'il manque un document, cela devient impossible. J’ai mis deux ans pour faire le transfert de mon permis de conduire, ça a été une vraie galère. A se demander si ils sont informatisés ? En Australie, tout est fait en ligne, c’est très rapide. Comment une société peut-elle progresser avec un tel système ?
Je parle couramment anglais, c’est bien pratique mais cela me limite dans mon apprentissage du français. Je progresse quand même. Je commence aussi à mieux comprendre les Français. Par exemple, comment ils communiquent. Le fait de dire bonjour pour commencer une conversation est nouveau pour moi. Ou quand on se dit au revoir : avec “à demain”, “à la semaine prochaine”, on pense déjà à la prochaine fois.
Je ne suis pas un Japonais conventionnel, je dirais que je suis un Japonais “twisted”. En Australie, on m’appelait Aussie Ken. Maintenant, je deviens un peu Français. Peu importe d’où on vient, pour moi ce n’est pas le sujet. On est tous des humains, et la nourriture est notre langage commun.
Il me manque beaucoup de choses de mon pays. Les paysages, les montagnes, les forêts, les saisons, je n’ai pas vu de cerisiers en fleurs depuis des années. Avant j’y retournais chaque année. La dernière fois c’était il y a six ans, car nous avons dû économiser pour venir en France.
Idéalement, il faudrait que je rentre en Australie en juillet 2024 pour garder mon visa de résident permanent… pour deux années. Je pourrais aussi rester ici et re demander un visa le jour où j’y retournerai, mais c’est beaucoup de démarches.
J’aimerais aussi passer plus de temps au Japon. Peut-être même que y habiter quand mes enfants seront grands, pour m’occuper de ma mère.
J'aimerais surtout ouvrir mon propre restaurant, pour faire vivre ma créativité. Ce sera des plats “fusion”, un mélange de cuisines asiatiques avec une influence occidentale. Je m’adapterai aux produits locaux, en ajoutant ma touche japonaise et asiatique.
J’ai envie de surprendre les gens, de leur montrer ce dont je suis capable. Cela me fait tellement plaisir de voir les sourires sur leurs visages quand ils mangent ma cuisine.
Ma femme voudrait rester en France car elle a une meilleure situation professionnelle ici. Nous verrons bien, ce n’est pas pour tout de suite, cela dépendra aussi de là où le monde va aller.
Si je pars, j’emporterai dans ma valise du vin et du salami, car malheureusement le blue cheese et les croissants ne voyagent pas bien.
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J'ai rencontré Kentaro au Mecha Uma à Arles, miam miam.