Kaya Matsuda 松田かや
12 décembre 2020Yuko Takaki 高木裕子
21 février 2021Si j’étais restée au Japon, je n’aurais peut être pas remarqué la beauté des noeuds traditionnels, je n’aurais pas pu avoir le même regard.
Je m’appelle Kiriko Nozaki, j’ai 44 ans, je vis en France depuis quinze ans. J’ai longtemps vécu à Paris, après j’ai déménagé à Versailles. Je suis très heureuse ici, c’est mieux pour élever mes deux fils, il y a plus d’espace. Côté professionnel, je suis créatrice de bijoux, j’ai fondé ma propre marque il y a dix ans exactement, La Maison NOZAKY . Je créée des nœuds-bijoux, une association de fils de soie, de nœuds traditionnels japonais et des pierres fines. C’est un concept que j’ai inventé, c’est nouveau.
Je suis venue à Paris en 1999 pour apprendre les métiers de la bijouterie. Pour moi, c’était en Europe que tout se passait dans ce secteur. Comme j’avais étudié le français à l’université, j’ai choisi la France. Dans mon école, j’ai découvert et appris le travail du métal, de la cire, le travail de dessin et un peu de la gravure.
Après un an d’études, je suis rentrée au Japon, où j’ai fait une autre école de bijouterie, cette fois-ci à Tokyo. J’ai ensuite été embauchée dans un atelier de réparation de bijoux en argent. C’était une bonne expérience, mais quand même très pénible. Le travail de soudure me plaisait beaucoup, comme le travail sur le métal, mais après il fallait polir les chaînes. Et là, c’était la galère ! Plein de poussière, de pâte à polir sur ma tête, mes doigts tout le temps sales, des produits toxiques. Finalement, j’ai abandonné.
Pendant ma scolarité à l’école de Tokyo, j’avais gagné le premier prix d’un concours de dessin, c’était un concours national pour les étudiants en joaillerie. Grâce à cela, j’ai rencontré une société qui a fabriqué ma création, un collier en platine avec des perles de culture et des diamants. L’entreprise m’a proposé un travail de designer, voilà comment je suis devenue créatrice. Notre collaboration a duré huit ans.
En même temps, je ne pensais qu’à une chose, retourner en France. Mon premier séjour avait été un déclic, la France m’attirait, c’était inexplicable. J’ai cherché tous les moyens pour revenir en France. J’ai commencé à économiser, et finalement ma mère m’a aidée.
En 2005, me voilà de retour. Je suis entrée dans une nouvelle école de bijouterie à Paris, aussi pour enrichir mes compétences en tant que designer. Ma spécialisation, c’était le bureau d’études. J’ai été diplômée une année après.
Pendant ce temps, je continuais à travailler pour la société japonaise, elle avait accepté que je parte à Paris. Je gagnais un peu d’argent, mais le rythme était dur, c’était un double travail. Les écoles françaises, c’est intense, bien plus qu’au Japon. Là-bas, c’est dur pour entrer à l’université mais après ça va. J’étais tellement fatiguée que j’ai eu une grave infection à l’œil, à force de le frotter. Après l’école, je voulais rester à Paris, j’avais un visa étudiant que je devais renouveler, donc je me suis inscrite dans une école d’art. Cela n’avait rien à voir, je n’y suis jamais allée, mais j’ai pu prolonger mon séjour.
C’est à cette époque que j’ai rencontré mon futur mari. J’avais tellement peur de devoir retourner au Japon, je lui ai parlé du mariage. Je n’avais pas d’autre solution. C’était la crise de ma vie, pas de mariage, retour au Japon, je savais que je n’y serai pas heureuse. Je voulais absolument éviter ça. Il était jeune, il avait vingt-cinq ans, il était étudiant aussi. Malgré ça on s'est mis d'accord pour essayer. Je vous rassure, nous sommes toujours mariés et heureux !
Tout en continuant à collaborer avec la marque japonaise, j’ai commencé à chercher du travail, c’était très dur, il fallait avoir un réseau. Au bout de deux, trois ans, j’ai renoncé.
A ce moment-là, je me suis intéressée à l’artisanat japonais traditionnel, notamment le kumihimo, le tressage traditionnel. Au musée Guimet, j’avais découvert des armures de samouraïs, et remarqué la beauté des nœuds et des cordes qui leur servaient d’attache. Cela m’avait fascinée. A la même époque, une amie japonaise apprenait le port du kimono, et donc les nœuds et les kumihimo qui servent à maintenir le obi, la ceinture du kimono. Elle m’a montré ceux qu’elle faisait, ce fut un déclic. J’ai acheté un livre et j’ai appris en autodidacte.
En faisant ces nœuds, j’ai découvert qu’à partir d’un simple fil, on peut créer un volume, cela devient une boule. Créer un bijou c’est pareil pour moi, le bijou c’est un volume. Pendant les premières années, j’ai fait du prototypage, des essais, et c’est là que j’ai découvert le concept des nœuds-bijoux. Voilà comment j’ai eu l’idée de créer ma propre marque, La Maison NOZAKY
Elle est née en janvier 2011. Elle se développe petit à petit. Il faut d’abord faire connaître le concept. J’ai exposé une première fois en Lorraine, pour les fêtes de Noël, on m’a dit que c’était original. Depuis j’ai fait d’autres expositions, je vends en ligne et je suis représentée dans deux endroits à Paris. J’ai des clientes fidèles, cela me fait plaisir quand on apprécie mon travail. J’ai commencé à vendre au Japon l’année dernière, à Kyoto. La période n’est pas facile, mais ça va venir.
Maintenant, j’aimerais arriver à maîtriser la technique du kumihimo. Pour créer des cordons comme je voudrais, très fins, comme un fil de fer très solide. Il y a des japonaises en France qui sont spécialistes de cet art, il est très répandu au Japon. Cela prendra du temps, je suis motivée.
La liberté, voilà ce qui me plaît en France. Le fait de pouvoir exercer mon métier, en tant qu’indépendante, étrangère, que je puisse m’exprimer à travers mes créations. Peut-être cela aurait-il été possible au Japon, mais cela aurait été une autre expression. Si j’étais restée dans mon pays, je n’aurais peut-être pas remarqué la beauté des nœuds traditionnels, je n’aurais pas pu avoir le même regard.
Ma vraie première fois en France, j’étais encore étudiante à l’université. J’y ai passé deux mois, avec une amie, juste pour visiter. Un mois à Nice, un mois à Paris. Je n’ai que des mauvais souvenirs de ce séjour, j’étais jeune et naïve, je ne savais pas comment m’adapter. Je me souviens du jour où mon copain du Japon m’avait plaquée. J’étais restée longtemps au téléphone avec lui, c’était l’époque des cabines publiques. Les gens faisaient la queue, s’impatientaient. Ils ont fini par m’insulter, en cognant sur la vitre. C’était choquant pour moi que des adultes se mettent en colère comme ça, comme des enfants. Cela m’avait dégoutée de la France, j’en avais même parlé à mon professeur de français à Tokyo, lui aussi détestait Paris, pourtant il était français. Mais bizarrement, cela m’a donné envie de revenir en France. Depuis, j’ai beaucoup de bons souvenirs, par exemple le jour de mon mariage, et mes premières ventes lors d’une exposition.
J’aime la France, je respecte les français comme ils sont, mais je ne les comprends pas toujours. Par exemple, à propos de la religion. J’ai de la peine avec les évènements des derniers temps, les attentats par exemple. Cela continue. Je m’inquiète pour mes enfants. La France, c’est monothéiste. Au Japon on est plutôt animiste, dans chaque objet il existe un Dieu. J’ai l’impression que cela pourrait être une clé pour résoudre le problème.
Il faudrait plus penser aux autres. Les caricatures, cela m’a beaucoup fait réfléchir. En tant que japonaise, je trouve que c’est un peu trop, cela crée des conflits. Je ne comprends pas pourquoi les français essaient d’aller jusqu’au bout. Bien sûr c’est le principe de la laïcité, de la liberté d’expression. Des fois, j’ai l’impression que les français acceptent mal les autres religions. Au Japon, ce n’est pas un problème, la viande halal, Noël, Halloween… Et la réaction du gouvernement, l’attitude assez ferme, la prière dans les écoles, je pense que c’est un peu trop. Je ne veux pas que mes enfants soient influencés. Enfin, il ne faut pas trop focaliser sur ce sujet.
J’aurais aimé faire les photos dans les jardins du château mais ils sont fermés. Depuis le haut des marches devant le château, on surplombe le jardin, on voit très loin, cela permet une grande ouverture, un regard plus vaste, j’aime cet espace-temps. Ces jardins sont tellement agréables et si bien emménagés.
J’aime Versailles. Mais les enfants grandissent, on voudrait acheter une maison, il nous faudra partir, ici c’est trop cher. C’est un grand projet pour cette année. Depuis que j’ai mes enfants, je m’intègre plus naturellement dans la société française, à l’école par exemple avec les autres parents. Je parle bien français, j’ai même l’impression d’être française. D’ailleurs, j’aime beaucoup le fromage, le beurre, un bon croissant. Quand je suis au Japon, on voit le contraste, il y a la tentation de traverser la rue sans regarder les feux.
Je ne vais pas au Japon chaque année, ça ne me manque pas. Sauf la nourriture, le soleil et les intérieurs traditionnels, les tatami, les shoji, ce sont des espaces apaisants. Ma mère vient nous voir, elle découvre Paris, Versailles, on part en vacances ensemble.
Mon mari serait très content d’aller habiter au Japon, mais ça changerait beaucoup de nos habitudes de vie quotidienne. Des fois, j’y pense, pour mes enfants. Pour qu’ils parlent mieux japonais, avec des japonais. Je me dis pourquoi pas, mais pour une période limitée. Enfin, ce n’est pas le sujet du moment.
J'ai découvert les bijoux de Kiriko à la Sway Gallery à Paris. Je les aime beaucoup alors j'ai invité leur créatrice.