Masui Chiaki 益井千明
24 mai 2022Akiyo KAJIWARA 梶原章代
9 juin 2022En France, je me sens respectée, personne ne m’impose de devenir française par exemple. Je peux vivre à la française ou à la japonaise selon la situation.
Je viens du nord du Japon, de Sendai-shi dans le Tohoku. Ça fait plus de trente ans que je suis en France.
Je m’occupe de l’association Wakaba que j’ai créée en 2004 dans mon village à côté de Toulouse car je souhaitais faire découvrir la culture japonaise aux Français, notamment la cérémonie du thé que je pratiquais chez moi.
Ma grand-mère l’enseignait. En rentrant de l’école, je m’asseyais parmi les participants et j’observais. Je ne me souviens pas avoir appris autrement. J’ai apporté son matériel du Japon, et je l’utilise toujours aujourd’hui.
J’ai commencé l’association avec la cérémonie du thé et des cours de japonais. D’autres intervenants m’ont rejointe petit à petit, des Japonais et des Français. L’association évolue avec le temps, nous avons beaucoup d’activités pour un public varié de jeunes et de moins jeunes. Que les gens soient contents me fait très plaisir.
Autrement, je suis modéliste. Après mes études, j’ai travaillé deux ans dans la mode à Tokyo. Même dans ce milieu, les entreprises sont très japonaises, avec beaucoup de hiérarchie et de comportements superflus (le fameux honne to tatemae), cela ne me convenait pas. Je rêvais plutôt d’aller voir comment c’était de travailler dans la mode à Paris.
J’y suis arrivée en tant qu'étudiante. Pendant les périodes des défilés, j’ai pu travailler pour des créateurs japonais, comme Hanae Mori. Découvrir la haute-couture était très intéressant, car le travail de couturière y est différent du prêt-à-porter.
J’avais commencé à apprendre le français au Japon, mais je ne comprenais pas très bien, les gens parlaient trop vite. Au début, je parlais anglais, et puis je me suis forcée à ne plus le parler pour progresser en français.
J’ai habité trois ans dans le vingtième, à côté du cimetière du Père Lachaise. C’était une ambiance familiale, je connaissais tous les commerçants. J’ai d’ailleurs rencontré mon mari dans un bar du quartier.
En 1993, il a été muté à Toulouse. J’ai travaillé quelques temps en tant que modéliste dans une société de prêt-à-porter toulousaine. Quand elle a fait faillite, j’ai eu l’idée de l’association.
Nous habitions à Castelginest. Je n’avais pas envie d’aller travailler à Toulouse dans des structures existantes alors j’ai créé cette association dans mon village.
Nous avons nos propres locaux, avec un petit jardin japonais que nous avons aménagé en partenariat avec les Apprentis d’Auteuil.
Il y a aussi un pavillon de thé, construit sur-mesure par un charpentier français formé au Japon. Il était venu à l’association pour apprendre le japonais. Je lui ai expliqué ce que je voulais, un endroit pratique et dans la tradition, avec un tokonoma et une table intégrée à la terrasse qu’on peut sortir au besoin.
Les personnes viennent parfois de très loin, de Bordeaux, de Castres.
Dernièrement nous avons organisé un stage de poterie raku durant lequel chaque participant a fabriqué son bol à thé, un chawan et l’a utilisé lors d’une cérémonie du thé. Ça a été une expérience très riche.
Chaque printemps, nous organisons au village un grand matsuri. Il y a de la musique, de la danse, des stands et plein d’autres activités. Nous avons créé notre propre musique “Midi Pyrénées Ondo” ; on joue avec des instruments japonais, du taiko et du shamisen, avec un artiste qui vient spécialement du Japon.
Avec la cinquantaine de bénévoles qui participent à l’organisation, nous voulons recréer l’ambiance de ces fêtes populaires qui sont propres au Japon. Tous ensemble, nous formons une grande famille, on s’amuse beaucoup, même si c’est beaucoup de travail.
La vie en France est agréable par sa nature et son climat tempéré, et il y a de l’espace ! Au Japon, même si on a la chance d’avoir un jardin, on ne peut pas en profiter comme ici, manger dehors l’été est impossible à cause des moustiques.
Quand je retourne dans mon pays, je réalise que la vie y est difficile à cause du climat, des tremblements de terre et du manque de place. Je comprends mieux pourquoi rien n’est laissé au hasard. Pour construire juste une cabane, il faut réfléchir longtemps. Ce n’est pas comme en France on construit, on ajoute et ensuite on modifie…. tout est possible.
En France, je me sens respectée, personne ne m’impose de devenir française par exemple. Je peux vivre à la française ou à la japonaise selon la situation.
Par contre, certains comportements me dérangent, comme couper la parole ou parler sans écouter les autres.
J’ai plein de bons souvenirs ici, surtout les réunions de famille et les soirées à la maison avec les amis. Au Japon, on va plutôt au restaurant à cause du manque de place et des distances. Ça dure deux heures puis chacun rentre chez lui Et c’est bien moins décontracté.
Je ne retourne pas souvent au Japon. Certaines nourritures me manquent, notamment la variété de poissons, les algues, les œufs de poissons. Ici, c’est toujours la même chose, même si c’est frais.
Du riz japonais, on en trouve heureusement en France. Je tiens beaucoup à mon autocuiseur et à mes baguettes car je ne peux pas vivre sans riz comme tous les Japonais je pense. Pour le reste, je ne suis pas attachée aux objets, même si j’en accumule beaucoup.
C’est peu probable que je reparte vivre au Japon car en venant en France, j’ai pu trouver ce que je cherchais.
Je voulais un travail qui me plaise, dans un endroit où je me sentirais bien, entourée de gens avec qui je serais en équilibre. Beaucoup de personnes m’ont aidée et beaucoup participent à la vie de l’association. J’ai de la chance de les avoir rencontrés, je suis très reconnaissante.
J’aimerais continuer à donner et rendre service aux gens qui s’intéressent à ce que je sais faire.