Yoko Amiel アミエル陽子
18 mars 2023Fuki Fujie 藤江 扶紀
26 avril 2023Quand je suis en France, c’est la nourriture du Japon qui me manque, et si je retourne au Japon, j’aurais sûrement la nostalgie de ce que je mange ici.
Il y a encore neuf ans, j’étais danseuse professionnelle.
J’ai vécu dans plusieurs pays, avant de rejoindre le ballet de l’Opéra national du Capitole à Toulouse. J’y suis restée cinq ans, et après j’ai arrêté ma carrière de danseuse.
Je ne savais pas vers quoi m’orienter, je voulais un métier qui me rende heureuse, et avec lequel je puisse continuer à exprimer ma créativité.
Mon bonheur, c'était la pâtisserie. Comme la France est le pays de la pâtisserie, je me suis dit pourquoi pas.
J’ai passé mon CAP, après une année d’apprentissage à la pâtisserie Sandyan à Toulouse.
J’ai ensuite travaillé dans un restaurant gastronomique, chez un traiteur et dans un salon de thé, pour finalement créer mon entreprise en 2019, la pâtisserie Kinoka.
Je travaille sur commande, pour des particuliers, un bar, un restaurant et pour des événements. Je propose de la pâtisserie française avec le goût du Japon, pour faire découvrir les saveurs de mon pays.
J’utilise du yuzu, du thé matcha, du sésame noir, du mochi (du riz gluant) ou de la pâte de haricots (l’anko) dans des recettes françaises. Je suis contente car ça marche bien.
Je danse depuis mes cinq ans. Ma mère m’avait inscrite au cours de danse car j’étais une enfant agitée, j’avais beaucoup d’énergie.
J’ai fait de la danse toute mon enfance. Après l’école, il m’arrivait de terminer à minuit. Mon rêve, c’était d’aller danser un jour à l’étranger.
Au Japon, il n’y a pas de conservatoire, juste des écoles privées. Et il est très difficile de vivre de cette passion, il n’y a pas le statut d’artiste comme ici, il faut travailler à côté, avoir un petit boulot dans la restauration ou donner des cours.
Je n’avais pas envie d’être prof de danse, alors je suis allée à la fac. Je ne pensais pas mon rêve réalisable, je me disais juste qu’il me fallait partir.
J’étais venue en France plusieurs fois, petite, avec mon père car il aimait beaucoup ce pays.
Je ne comprenais rien, c’était très différent du Japon, mais l’architecture, les baguettes de pain, la nourriture en général, woah !
Je me souviens surtout du spectacle à l’Opéra de Paris, c’était magique, mon père m’avait même acheté la tenue complète.
J’aimais la langue française que j’avais un peu étudiée à l’université, alors venir à Paris a été une évidence.
A l’époque, Internet n’existait pas. Je n’avais pas d'exemple de danseurs japonais partis faire carrière à l’étranger, je ne savais pas qu’on pouvait en faire son métier à plein temps.
Je voulais juste aller en France pour apprendre le français.
Je ne me souviens plus très bien comment je me suis débrouillée sans internet. J’ai contacté une amie qui étudiait à Paris, elle m’a logée le temps que je trouve un appartement. Je me suis inscrite dans une école de langues puis j’ai fait le tour des écoles de danse.
J’ai alors rencontré Antonio Alvarado, un vrai passionné de danse classique, et j’ai fini par aller à son studio tous les jours. C’est lui qui m'a encouragée à passer des auditions, pour devenir danseuse professionnelle.
Très vite, j’ai été retenue par une compagnie de Charleroi en Belgique, pour partir en tournée au Japon avec Miyako Yoshida, une ballerine du Royal Ballet School de Londres très connue.
C’était juste génial : travailler avec une star et pouvoir retourner au Japon à l'œil tout en étant payée. Nous avons fait quelques représentations à Kyushu puis en Belgique.
A la fin du contrat, je suis rentrée à Paris, et j’ai repris les auditions.
J’ai alors rejoint le Ballet National de Norvège à Oslo, où j’ai été soliste, ça a été une super expérience.
Je suis revenue à Paris une nouvelle fois, parce que j’aimais cette ville.
J’ai passé de nouvelles auditions, et cette fois, j’ai été prise comme danseuse étoile à l’Alberta Ballet à Calgary au Canada. J’ai fait des tournées un peu partout dans le monde.
Après quelques années, la France me manquait trop. J’ai refait des auditions et je suis arrivée à Toulouse en 2009.
Je me sens libre en France, comme beaucoup de Japonais qui y habitent je suppose.
Ici chacun vit sa vie et ne se soucie pas de ce que font les autres, alors qu’au Japon c’est très différent. Dans ce sens, je me sens presque française.
Je suis restée à Toulouse car la ville me plaît, même si j’aime également Paris. Les gens sont plus calmes, et l’ambiance me rappelle le sud du Japon.
D’ailleurs il y a beaucoup de Japonais du Kansai dans la région. Je me suis mariée aussi, bref c’était plus simple.
Je rêve d’avoir mon salon de thé, pour faire connaître le vrai goût du Japon. A Toulouse ou ailleurs, peu importe.
C’est plus de travail, mais j’aime l’idée de servir des choses préparées sur place, dans l’instant, comme cela se fait au Japon.
D’un autre côté, j’aime beaucoup ce que je fais aujourd'hui. En travaillant sur commande, j’ai le contact direct avec mes clients, je peux avoir leur retour. Et puis, ça me touche de préparer des gâteaux pour fêter des moments uniques de leurs vies.
Du Japon, ce sont les onsen qui me manquent le plus, et la nourriture, le poisson cru et beaucoup d’autres choses. Chaque année, quand j’y retourne, je fais une cure.
Je ne sais pas si je vivrai de nouveau au Japon, pourquoi pas, mais juste pour quelques temps. Ce serait difficile d’y travailler, car les clients sont très exigeants.
Les Japonais voient toujours le côté négatif des choses, ils veulent que tout soit parfait. Les Français au contraire, regardent plus souvent le côté positif, ils savent profiter de la vie.
Par contre, je trouve qu’on ne peut pas trop compter sur les gens ici, surtout quand il faut faire des travaux. Le plus dur c’est avec l’administration française : jamais personne ne sait me renseigner et me dire quoi faire, ou alors j'obtiens des avis contraires. Il n’y a pas de protocole, c’est déroutant.
Si je pars au Japon, le goût de mes gâteaux sera différent, je ne pourrai pas faire la même chose. Le beurre, les fruits, ce n’est pas pareil.
Au Japon, il faut que ce soit beau avant tout, il y a beaucoup d’emballages, et trop peu d’attention aux aspects écologiques.
Moi, j’utilise des ingrédients locaux et bio quand je peux, des produits de saison que j’achète au marché. C’est le secret pour avoir de bonnes pâtisseries.
Quand je suis en France, c’est la nourriture du Japon qui me manque, et si je retourne au Japon, j’aurais sûrement la nostalgie de ce que je mange ici.
Pâtisserie Kinoka - www.kinoka.fr (bientôt en ligne)