Yuka Toyoshima 豊島由佳
15 juin 2024Je trouve les gens ici plus ouverts, j’ai l’impression qu’ils aiment la vie, tout simplement.
Je m’appelle Manabu Watanabe, je viens de la préfecture de Saitama où j’étais thérapeute en shiatsu. Une activité que je continue d’exercer maintenant que j’habite en France, en plus d’enseigner à l’école Shyuyou Shiatsu que j’ai fondé avec Alain Tauch.
Je donne aussi des stages d’Aunkaï, un art martial japonais créé par Minoru Akuzawa Sensei dans les années 2000.
Après l’université, j’ai été salaryman pendant cinq ans. Je travaillais dans une bonne entreprise, avec plein d’avantages. Mais, sous l’effet du stress et de cette vie de travail, mon corps m’a petit à petit rappelé à l’ordre, je commençais à avoir des douleurs au dos, je sentais bien que ce n’était pas normal et qu’il me fallait me protéger.
J’ai alors choisi de reprendre ma liberté au prix d’un avenir plus incertain. J’avais envie de me reconnecter à mon corps, d’explorer la relation corps-santé, d’autant qu’enfant, je faisais beaucoup de sport.
Je me suis inscrit dans une école chinoise de massage tui-na. Une des élèves avait un mari qui s’intéressait aux arts martiaux et à toutes les approches autour du corps. Grâce à lui, j’ai découvert les disciplines traditionnelles, dont le Systema, un art martial russe assez confidentiel. Il n’y avait hélas pas de dojo au Japon pour pratiquer, et c’est à l'occasion de vacances aux Etats-Unis que j’ai pu suivre un stage et avoir des contacts pour pratiquer au Japon.
A cette même période, je me suis initié à l’Aunkaï avec Minoru Akuzawa Sensei. J’ai pratiqué ces deux disciplines en parallèle pendant quelques temps
Et puis j’ai décidé de me concentrer sur l’Aunkaï, qui s’inspire des arts martiaux traditionnels chinois et japonais, avec un focus sur la conscience du corps et la fluidité des mouvements. En s’exerçant aux Tanren, les formes de base, on apprend sur soi, le corps et l’esprit. L’entraînement avec un partenaire de pratique permet de vérifier la justesse des mouvements, pour que le corps bouge le plus naturellement possible.
Minoru Akuzawa Sensei vient chaque année en France depuis 2007, car c’est un des pays hors Japon où il y a le plus de pratiquants. Cette année-là, je l’ai accompagné avec un autre étudiant pour faire une démonstration. C’était mon premier voyage en Europe, et donc en France.
Je me souviens être arrivé tard dans la soirée place de l’Opéra à Paris, avec la sensation d’être déjà venu. Ce lieu m’était nouveau et familier à la fois, c'était très étrange.
L’année suivante, Sensei m’a proposé de devenir son assistant permanent et de participer à ses tournées européennes. Car je parlais anglais. Par chance, j’étais célibataire, je l’ai suivi toutes ces années en France, Belgique, Allemagne, Hongrie…
Le reste du temps, je travaillais au Japon en tant que thérapeuthe de médecine chinoise. En 2010, j’ai repris mes études, me formant pendant trois années au Japan Shiatsu College pour obtenir une licence nationale. Au Japon, cette forme de shiatsu, le Namikoshi shiatsu, est une médecine spécialisée, remboursée sur ordonnance.
De passage à Paris chaque année, j’ai pratiqué l’Aunkaï avec les stagiaires, nous avons bu des coups puis nous sommes devenus amis. Ils ont été présents quand j’ai décidé de m’installer en France. L’un d’eux m’a mis en lien avec Alain, lui demandant de m’aider à organiser des cours et des stages de shiatsu, par le biais de son association Su-Shiatsu.
J’avais l’idée de fonder une école pour partager mon expérience de thérapeute et transmettre ce que j’avais appris, avec une approche pédagogique différente de ce qui se pratique ailleurs. Car au-delà d’enseigner les principes du shiatsu, le plus important pour moi est le travail sur la posture et la mise en condition du thérapeute.
D’ailleurs, j’ai appelé notre école Shyuyou Shiatsu : shyuyou peut se traduire par “être une bonne personne”. Pour cela, il faut travailler le corps et l’esprit, avec toujours l’attention à l’autre. Comprendre comment transmettre l’énergie tout en prenant soin de soi et rester en bonne santé. C’est tout un chemin d’apprentissage de soi en fait.
Alain m’a suivi dans mon projet, j’ai eu beaucoup de chance de l’avoir à mes côtés. Car j’avais vraiment envie de le réaliser hors du Japon, pour aller vivre ailleurs. Et lui donner vie en France était une évidence.
Je suis à Paris depuis 2019, l’année de naissance de ma fille. Notre dojo est à Montrouge, je l’ai appelé Akagiyama 赤城山 dojo. Parce que Montrouge, “mont rouge”, me rappelle le Mont Akagi dans la préfecture de Gunma au Japon, aussi appelé “la montagne devenue rouge” d’après une légende du moyen-âge. Cette région est aussi celle de ma femme.
Paris est une ville très cosmopolite, c’est nouveau pour moi. Je trouve les gens ici plus ouverts, j’ai l’impression qu’ils aiment la vie, tout simplement. J’ai beaucoup d’affinités avec les personnes de nos communautés Aunkaï et shiatsu, malgré les différences culturelles. Cette connexion entre humains me rassure, et c’est de loin ce que je préfère de ma vie en France.
Certes, tout n’est pas comme au Japon, il y a des choses qui marchent mieux et d’autres qui marchent moins bien. Ce qui me pèse le plus ce sont les grèves, car elles perturbent le rythme des cours. Et aussi tous les papiers à faire pour renouveler mon visa, une source de stress récurrente.
Minoru Akuzawa Sensei est revenu en France l’année dernière, après trois années d’absence à cause du covid. Il était là ce printemps pour de nouveaux stages. Je continue à apprendre de lui, même si je ne le vois que lors de mes séjours au Japon ou quand il est en Europe.
Notre école a maintenant une communauté de diplômés que je voudrais faire vivre, pour continuer à les faire grandir et aussi former des instructeurs. J’imagine quelque chose comme un “shiatsu camp”, j’y réfléchis.
Ma femme et ma fille étant avec moi en France, il ne me manque pas grand-chose de mon pays, à l’exception de mes parents et de la nourriture. Des choses que j’avais l’habitude de manger tous les jours et qu’on ne trouve pas ici à un prix raisonnable. Comme le nattô, que j’adore, et les tsukemono. Même le riz japonais est vite coûteux, surtout quand on en mange beaucoup.
Pourtant mon estomac est devenu français, j’ai l’impression d’être plus gourmet. J’aime beaucoup le pain, le fromage, et tous les produits naturels et goûteux qu’on trouve ici. Les gens au Japon n’ont pas idée de la qualité de ce qu’on mange en France, le beurre, le lait… à l’opposé des produits industriels qui ne sont pas toujours bons pour la santé.
L’apprentissage du français reste compliqué. Comme je parle anglais, les gens me parlent en anglais. Et mes amis m’aident si besoin pour le quotidien. C’est un peu la facilité mais je n’ai pas le temps de prendre des cours pour améliorer mon français.
J’aimerais rester en France car notre école est importante pour moi. Mais mes parents sont au Japon, ils prennent de l’âge. Ma femme souhaiterait y retourner, pour ma fille qui a maintenant quatre ans et qui grandit. Tout est possible, je verrai bien.