Tchaco チャコ
16 mai 2022Kumi Takahashi 高橋久美
30 mai 2022La montagne Sainte Victoire est très importante pour moi. C’est le souvenir de ma rencontre avec mon mari, du banquet de notre mariage, et de la naissance de notre fils.
Cela fait plus de trente ans que j’habite en Provence. D’abord à Marseille, puis ici dans la campagne pas très loin d’Aix en Provence. Je suis originaire de Toyama, côté mer du Japon. C’est une région peu touristique, sauf pour ses montagnes qui font partie des Alpes japonaises.
Il y a longtemps, je suis venue en France pour apprendre la langue.
Jeune, je ne voulais pas être femme au foyer, je voulais être autonome avec un métier qui me plaise. Alors, en parallèle de mes cours à l’université, j’allais en cours du soir dans une école de couture. Lors des sessions de dessin, il y avait des indications en français notées sur les illustrations : cela m’a donné envie de comprendre ce qui était écrit.
Après mes études, j’ai travaillé quelques mois comme couturière dans un petit atelier. Le soir, après le travail, j’apprenais le français car je voulais aller en France dans une école de mode. C’était très cher, je m’étais renseignée. En y réfléchissant, je me suis dit “buta ni shinju” (littéralement “donner des perles au cochon “), cela n’a pas de sens, il me faut d’abord parler français. Alors je suis venue en France à l’université pour bien maîtriser la langue.
Je suis arrivée à Grenoble l’année de mes vingt-quatre ans, c’était en début d’été. Dans le taxi pour rejoindre la cité universitaire, je me souviens de ma déception de ne rien comprendre à cette langue que j’apprenais pourtant depuis neuf mois. Après, je n’osais plus rien demander, je suivais les gens pour trouver où faire mes courses et me repérer.
À la fin de l’année universitaire, je me suis dit que si je rentrais au Japon, je ne reviendrais jamais en France. J’ai continué à étudier à Tours car il se disait qu’on y parlait le français le plus pur ! C’est là que j’ai rencontré ma “grande sœur” française, une amitié qui dure depuis quarante ans.
Elle habitait avec une amie dans une grande ferme, elles louaient quelques chambres aux étudiants. Le soir nous mangions tous ensemble, c’est un bon souvenir.
Après cette année à l’université de Tours, j’ai voulu découvrir Londres. Cycliste amatrice depuis mes années à Tokyo, j’avais acheté un vélo à mon arrivée à Tours. Je l’ai mis dans le train et je suis partie seule en Angleterre.
Depuis la gare Victoria, j’ai pédalé jusqu’à la YMCA que j’avais réservée pour quelques semaines. Plus tard, j’ai partagé un appartement avec une basque et j’ai trouvé du boulot dans un restaurant japonais.
C’est d’ailleurs là que j’ai appris à m’habiller en kimono. Après six mois à Londres, je suis rentrée au Japon en faisant un crochet par Tours pour récupérer mes affaires.
A Tokyo, j’ai trouvé du travail facilement, c’était plus simple qu’en France. J’ai fait plusieurs boulots plus ou moins liés avec la France pour ne pas oublier la langue.
La dernière société où j’ai travaillé était un sous-traitant du JETRO, l’organisation pour le commerce extérieur du Japon. J’avais un patron français très respecté qui parlait japonais sans accent. En plus du travail de traduction, il m’avait confié quelques études de marché. C’était si intéressant que j’ai même dormi un jour au bureau pour terminer un dossier.
Quelque temps après, je lui ai demandé de m’aider à revenir en France, et d’aller travailler chez son partenaire à Marseille. Il mettait en relation des architectes français avec des clients japonais. À cette époque, il n’y avait pas encore beaucoup de Japonais dans la cité phocéenne.
Comme je ne connaissais personne, j’ai passé une annonce. J’ai ainsi rencontré plein de gens intéressants dont un garçon qui faisait du parapente. J’ai appris avec lui, il m’a fait découvrir un monde extraordinaire.
La montagne Sainte Victoire est très importante pour moi. C’est le souvenir de ma rencontre avec mon mari, du banquet de notre mariage, et de la naissance de notre fils. D’ailleurs, mon mari y était en sortie de parapente, la nuit où j’ai accouché.
À un moment, la société où je travaillais a eu moins de relations avec le Japon et j’ai réfléchi pour me reconvertir. Je faisais de la poterie à la MJC de Marseille depuis mon retour en France et j’ai eu envie de continuer sur ce chemin. J’ai pu entrer à l’École de Céramique de Provence à Aubagne, où j’ai appris le tournage plus sérieusement.
J’ai eu l’idée d’organiser un échange culturel entre des céramistes français et japonais. Depuis le Japon, ma sœur m’a envoyé une revue sur la poterie pour avoir des contacts de céramistes japonais. Je leur ai écrit, et à ma grande surprise, la moitié m’a répondu favorablement.
Il me fallait l’aide d’une association pour obtenir des subventions. J’ai contacté Terre de Provence, et ajouté au soutien de la Fondation du Japon à Paris, j’ai obtenu la prise en charge des frais de voyage et de séjour !
J’ai ainsi pu emmener au Japon dix potiers français, pendant quinze jours. C’était en janvier 1995, juste une semaine après le tremblement de terre de Kobe. Cette expérience incroyable m’a motivée pour devenir céramiste.
Ce projet m’a procuré une petite notoriété dans le métier en Provence, et m‘a permis de faire mon stage chez les artisans de mon choix. J’ai fait trois ateliers pour apprendre différentes techniques : la terre vernissée, le raku, le grès et la porcelaine.
Vendre mes productions sur les marchés ne suffisait pas pour gagner ma vie. À cette époque, la Provence commençait à être très à la mode au Japon, avec un boom conséquent pour le tourisme local. Une amie de Marseille, traductrice, m’a proposé de devenir guide-interprète : ce que j’ai fait pendant un peu plus de dix ans, en plus de la poterie.
Ma grande fierté est d’avoir été l’invitée d’honneur à Argilla, le marché de potiers qui a lieu tous les deux ans à Aubagne. J’avais envoyé ma candidature deux fois par le passé, et été refusée à chaque fois. Mais en 2019, le Japon étant à l’honneur, j’ai été contactée sans rien faire. Sur l’affiche de l’évènement, on peut voir une de mes pièces.
Grâce à cette invitation, j’ai bénéficié d’un bon emplacement et de beaucoup de visibilité. Par la suite, j’ai pu travailler entre autres pour le magasin Seiko et pour un restaurant étoilé à Marseille.
Après toutes ces années en France, je me sens toujours japonaise. Je ne ressens pas le besoin de prendre la nationalité française. Le Japon est un pays de poterie, et même si je n’ai pas appris là-bas, il y a quelque chose de japonais qui ressort dans mes créations.
Il y a en France une forme de liberté au quotidien, les gens s’ingèrent moins dans la vie privée des autres. Au Japon, il y a plus d’harmonie dans les relations et c’est une bonne chose, mais pour y arriver, c’est parfois fatigant.
La chose à laquelle je ne m’habitue pas en France est l’indifférence du personnel dans les magasins. Souvent, les caissières ne vous regardent même pas, et quand il y a un problème, c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre. Il faut dire qu’au Japon, les clients sont rois et on s’y excuse très facilement.
Peut-être qu’ici il y a plus de risques de cambriolage, il faut être plus vigilant. Alors qu’au Japon, on pense beaucoup moins à ce genre de choses.
En parlant l’autre jour avec une amie, je lui disais que ce qui me manquait le plus, c’était les “boutique à 100 yen” qu’on trouve partout dans le pays. Il y a beaucoup de créativité dans ces magasins. La nourriture japonaise est de plus en plus facile à trouver en France. Mais ce n’est pas complètement pareil, ça manque de restaurants authentiques, avec cette attention portée au client si caractéristique du Japon.
Pendant la période du confinement, grâce à la poterie, je ne me suis jamais ennuyée. Je fais un travail solitaire.
Récemment, j’ai eu un problème avec une main, cela m’empêche de travailler comme avant. Alors, j’ai commencé à organiser des petits stages d’initiations. Au mois de juin, il y aura dans mon jardin une exposition avec les pièces réalisées par mes stagiaires accompagnées des créations de mes amis artistes. Ce sera une bonne occasion de tous se retrouver.
Pour moi, la poterie, c’est un chemin du Zen : la patience, la persévérance et la sagesse de la vie. C’est important en tant qu’être humain d’avoir un objectif à un an, à deux ans, d’avoir des rêves et d'essayer de les sauver.
Moi, j’essaie d’avoir toujours des projets, d’avancer petit à petit pour les concrétiser tout en faisant avec les accidents de la vie.
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Crédit Affiche de Argilla : Argilla