Emiko Kieffer キッフェル恵美子
26 juillet 2021Hiroshi Naruse 成瀬 弘
30 septembre 2021Depuis toujours, j’ai l’impression d’être destinée à venir en France, c’est étrange mais c’est comme ça.
Je m’appelle Nobuko Murakami, je viens de Kyoto, je suis artiste plasticienne.
En tant qu’artiste, je garde mon nom de jeune fille mais aujourd’hui, je parle avec mon nom de tous les jours, Nobuko Journe, car il est plus proche de ce que je vais dire.
Enfant, je dessinais tout le temps, des personnages surtout, j’inventais des histoires. J’aimais les livres de contes de fées européens, Charles Perrault, Grimm… Ils m’ont donné envie de voir le monde en dehors du Japon, un monde que j’imaginais fantastique, avec des animaux et des princesses.
Je me souviens des couleurs des illustrations, j’ai passé mon enfance à retracer au crayon les traits des personnages, c’était tellement beau. J’avais un livre des fables de La Fontaine avec des dessins magnifiques. Je me souviens d’un rouge vin irréel, presque bleu mauve, j’étais fascinée par cette couleur, j’en étais presque ivre à la regarder. Je suis très sensible aux couleurs, j’en vois partout.
Depuis toujours, j’ai l’impression d’être destinée à venir en France, c’est étrange mais c’est comme ça.
J’ai étudié à l’école des arts appliqués, puis j’ai travaillé deux ans en tant que désigner pour une marque de bijoux. J’ai quitté ce travail pour m’occuper de ma mère qui était malade tout en faisant de petits boulots.
Je suis partie du Japon en 1997, c’était après le tremblement de terre de Kobe. Notre maison familiale s’était à moitié effondrée ; cela m’avait marquée car la maison c’est le thème de mon travail d’artiste, j’avais beaucoup de ressentis dans ce lieu. Il me fallait partir, malgré la maladie de ma mère.
J’avais vingt-cinq ans. Je peux dire aujourd’hui que j’ai vécu ma jeunesse au Japon et que je suis devenue adulte en France.
Je suis venue à Paris une première fois pour trois mois, j’avais acheté un package tout compris, j’étais logée ici à la Cité Internationale, à la Fondation de Monaco. Cela me fait plaisir d’y revenir aujourd’hui pour la photo.
Tout s’est passé facilement. J’ai eu la chance de me retrouver sans coloc, seule dans ma chambre universitaire. J’ai fait ma vie parisienne dès le premier jour, à ma guise. Je n’avais peur de rien, j’étais heureuse, j’avais enfin trouvé la place où je voulais vivre.
Je suis retournée au Japon pour demander mon visa étudiant. La fois d‘après, je suis allée à l’Université de Aix en Provence, car c’était une des moins chères. Aix est une belle ville, mais c’est trop petit, et sans voiture, on ne peut rien faire, je me suis beaucoup ennuyée.
J’y suis restée un an puis je suis revenue à Paris. Je me suis inscrite à nouveau à la Sorbonne, j’ai trouvé un studio et j’ai débuté ma vie en France.
J’ai recommencé à dessiner tous les jours. Je faisais des dessins abstraits très colorés, avec des lignes et des couleurs, j’ai commencé à découper les lignes par hasard, et quand j’ai eu suffisamment de tas de papier, je les ai superposés, c’est devenu un paysage inattendu. J’ai alors senti que j’avais envie de faire quelque chose dans l’art.
En parallèle, j’ai rencontré mon mari, c’était très romantique. Nous sommes tombés amoureux et peu de temps après mon fils est tombé du ciel. C’était tellement inattendu. Etant maman d’un enfant français, j’ai pu rester en France. Nous nous sommes mariés plus tard, mon fils était déjà grand.
C’était difficile de trouver du travail avec un bébé, en plus, je ne parlais pas assez bien le français. J’étais très attachée à mon fils, je le gardais toujours avec moi, je l’ai allaité jusqu’à ses deux ans et demi. Je continuais à dessiner mais ce n’était pas facile.
J’ai exposé pour la première fois en 2005 au Salon de Montrouge, c’est un salon important, cela m’a donné la motivation pour continuer. Et puis en 2011, j’ai eu ma fille, un autre cadeau du ciel. Contrairement à son frère, elle était très calme, elle m’a laissée travailler.
Ce n’est pas simple de prendre ma place d’artiste, je ne suis pas dans le réseau de l’art parisien, je suis japonaise, je suis une femme, il y a beaucoup d’obstacles, j’essaie de ne pas trop y penser.
Ce serait bien que les femmes artistes soient plus reconnues en France, il y a beaucoup trop d’hommes, je le ressens beaucoup. Pourtant en France, il y a de nombreuses aides, pour les artistes, pour les mères célibataires, c’est une chance.
Lors de mon premier séjour en France, j’ai été surprise de voir des hommes pousser des poussettes. Et d’autres mangeant des glaces dans la rue. J’étais heureuse pour eux !
Dans ma jeunesse, on ne voyait pas ça au Japon, les glaces, les gâteaux, c’était pour les femmes. Les hommes allaient boire entre eux après le boulot, et les femmes restaient à la maison, il n’y avait pas cette culture. là.
Je n’ai que des bons souvenirs en France, j’y ai rencontré mon mari, mon fils et ma fille y sont nés et j’ai fait beaucoup de belles rencontres, c’est important pour moi.
Ce qui me plait le plus, c’est la liberté, c’est banal je sais. La liberté d‘être une femme, d’être une artiste car au Japon cela n’a pas l’air simple de l’être. En France, les femmes ont leur place dans la société, elles sont là, elles manifestent, ça me plait beaucoup.
Ce qui m’impressionne également, c’est que les enfants vont au musée avec l’école publique. Très tôt, on les éduque à regarder les œuvres d’art, il y a des discussions, cela nourrit leurs yeux pour contempler les tableaux.
Ils savent parler de l’art, mais par contre, il n’y a pas beaucoup de pratique artistique. Une fois par semaine, c’est trop peu. Au Japon, à partir de trois ans, les enfants commencent la castagnette, le solfège, tout est dans l’expérience. Les enfants savent faire de la musique, de l’harmonica, de la flûte à bec… Cela manque en France je trouve.
Je me sens française quand je suis au Japon, tous les japonais doivent dire ça non ? Je n’arrive plus à accorder mes pensées, mes idées avec mes amies d’enfance ou ma famille, c’est triste de moins partager, mais c’est la vie. Je garde quand même le contact grâce aux réseaux sociaux.
Les livres en japonais me manquent. Avant il y avait le choix à Paris et pour pas cher, maintenant c’est devenu difficile.
Dans mon enfance, j’ai vécu avec beaucoup de fêtes shintoïstes, cela m’a nourrie, c’est devenu ma ressource artistique. Je regrette de ne pas pouvoir faire vivre ça à mes enfants, je leur raconte mais ce n’est pas la même chose, il n’y a pas les couleurs, les odeurs, le son, la musique. Je suis très attachée à l’anthropologie et à la richesse des cultures.
Le Japon est un des rares pays où la religion est autant ancrée dans le quotidien. A Kyoto, pendant le Gion Matsuri, c’est la mairie de Kyoto qui est le prêtre, c’est inimaginable en France.
Les Japonais disent qu’ils sont athées, mais le shintô c’est la vie de tous les jours. Nous sommes tellement liés à la nature, aux esprits sacrés, qu’on ne se rend plus compte. Il y a aussi le bouddhisme, il y a une réelle harmonie de ces deux cultures au Japon.
En ce moment, je prépare une exposition pour la fin de l’année.
Je présenterai mes installations autour des maisons, avec un artiste réalisateur de films très connu au Japon, je l’ai connu à Paris quand il y habitait. Je suis très contente.
Ce serait difficile pour moi de repartir habiter au Japon, mes racines sont désormais en France.
Mes enfants sont encore jeunes, ils s’intéressent à la culture japonaise, mais pour y vivre c’est autre chose. En fait, ils sont très français.
Par contre j’adorerais habiter en Finlande. J’y suis allée en 2017, j’ai senti ce pays très proche de mon pays. Les finlandais sont timides, réservés, ils sont japonais ! La langue est phonétique comme chez nous, on prononce tout. La Finlande, c’est la forêt, c’est très propre, tout est bien organisé et les gens sont disciplinés. Comme au Japon !
D’ailleurs, ma fille apprend le finnois, j’aime tellement ce pays que j’ai cherché une baby-sitter finlandaise. Elle m’aidera pour la traduction quand j’y ferai une exposition.
Si je pars, j’amènerai juste ma famille, et mon atelier d’Issy les Moulineaux.
C’est Chiharu Tanaka qui m'a mise en contact avec Nobuko. Merci Chiharu !