Yoshiko Tange 丹下佳子
23 novembre 2021Naoko Yokoi 横井 奈穂子
4 décembre 2021J’ai trois amis français, ils me traitent comme une sœur. C’est leur amitié que j’apprécie le plus de la France.
Je m’appelle Shinobu, je suis maman d'une petite fille de six ans. Ma passion est de relier le Japon aux autres pays du monde, et j’ai de la chance de pouvoir réaliser ce rêve. Je viens de Tokyo, plus exactement de Kameido dans la partie Est de la ville. Je suis très fière de mon quartier, il a été peint par Hiroshige dans ses 100 vues d’Edo. Je suis d’autant plus fière que deux de ses estampes, celle du prunier et celle du pont, ont inspiré Van Gogh et Claude Monet.
J’ai étudié le français à l’université, en deuxième langue étrangère. J’ai fait ce choix naturellement, car faisant de la danse classique, je connaissais le français par le vocabulaire des ballets. Je m’intéressais aux diplomaties multilatérales, j’avais vite compris que les décisions se prenaient hors des salles de conférence, et que parler anglais ne serait pas suffisant.
Une fois en poste, j’ai été envoyée en France. Je suis restée une année à Toulouse, une autre année à Paris, avant de partir à Dakar puis à Bruxelles. Je suis rentrée à Tokyo après six années à l’étranger.
Pendant dix ans, j’ai travaillé aux échanges culturels et aux relations avec les pays d’Afrique subsaharienne. Puis on m’a proposé de revenir à Paris pour un travail très intéressant. Je n'étais pas vraiment préparée pour reprendre un service à l'étranger car ma fille avait à peine trois ans. Mon mari était prêt à m'accompagner en prenant un congé sabbatique, et comme à Paris, il y a plusieurs écoles maternelles japonaises, je me suis dit pourquoi pas.
C’était courageux de sa part. Il s’est occupé de tout, il a même appris à cuisiner pour l’occasion. Les premiers mois, nous avons alterné entre le steak, le saumon et les saucisses sautées, avec du brocolis ou de la salade en accompagnement. Et un jour, surprise, il avait préparé des moules marinières ! J’ai eu énormément de travail les premiers mois, j'étais bien contente qu’il prenne les choses en main. Alors, je l’ai laissé faire, et c’était bien comme cela.
La première année, notre fille est allée à l’école japonaise, puis nous l’avons mise à l’école française car il y a une grande probabilité que je reparte un jour travailler dans un pays francophone. Exceptionnellement, elle a pu continuer à aller à l’école japonaise un jour par semaine. Cela n’a pas été facile pour elle car elle a été séparée de ses amies l’année suivante. Elle était dans une classe partagée, elles n’avaient pas le même âge. Et puis après, il y a eu le confinement.
Je crois que mon mari s’est bien amusé, tout était nouveau pour lui. Il avait beaucoup voyagé pour son travail mais jamais habité à l’étranger. Il a appris le français à Paris, dans une école pour Japonais.
Pour moi, rien n’a été vraiment nouveau. Quand je suis arrivée pour la première fois à Toulouse il y a presque vingt ans, ça avait été difficile. Je me sentais transparente, je n’arrivais pas à trouver ma place. J’avais l’impression que les toulousains étaient si occupés à apprécier leur vie et leur amoureuse qu’ils ne regardaient pas les autres, encore moins où ils mettaient les pieds.
La preuve, les nombreuses crottes de chien écrasées sur le trottoir, et le nombre de fois où ils me rentraient dedans. Même à la boulangerie ou au salon de thé où j’avais mes habitudes, on ne répondait pas toujours à mes bonjours.
Je crois que Toulouse ne m’aimait pas. A Paris, c’était mille fois mieux parce que je connaissais les codes des grandes métropoles. Les parisiens sont moins froids, vraiment.
Ce qui m’a sauvée, c’est manger du foie gras avec un verre de Sauterne ! On trouve de très bonnes choses aux marchés de Toulouse, et comme j’aime beaucoup la cuisine française, j’en ai bien profité.
Je me demande encore comment vous faîtes vous les Français pour vous faire des amis. Moi, j’ai vu les Français de dos, comme quand on regarde dans une maison depuis l’extérieur, à travers une fenêtre.
Par contre, une fois les liens tissés, on reçoit beaucoup, bien plus qu’au Japon. J’ai trois amis français, ils me traitent comme une sœur. C’est leur amitié que j’apprécie le plus de la France. Dommage que ce soit si incroyablement difficile d’avoir ces opportunités. Pourtant, je n’ai aucun problème à aller vers les gens, ni à engager une conversation avec des inconnus, mais cela n’a pas joué ici. Par contre, mon mari, qui est plutôt timide, a toujours été très gâté par les commerçants quand il allait au marché. J’aurais bien aimé qu’il me partage ses astuces !
Pendant ces trois années à Paris, je ne me suis pas fait de nouveaux amis, ni français ni japonais. Quand on travaille avec un enfant en bas âge, on n’a pas beaucoup d’occasions. Je déposais ma fille à l’école le matin, tout le monde était pressé, et puis, il y a eu la Covid, et les choses sont devenues plus compliquées.
J’échangeais régulièrement dans l'ascenseur avec une voisine elle aussi jeune maman, on s’était promis de prendre un café un jour. Comme ma mission se termine ce mois-ci, j’ai pris tout mon courage pour lui proposer de déjeuner ensemble. Nous avons bien sympathisé, je trouve dommage d’avoir laissé passer le temps.
Je trouve que les français pourraient être plus accueillants, je sens de la bonne volonté, juste qu’ils sont tellement concentrés sur eux-même ou sur leurs vies qu’ils n’ont pas le temps de regarder ailleurs, comme si les autres n’étaient pas dans leur champ de vision.
De la France, j'apprécie aussi la diversité des paysages, chaque ville a son charme, et j’aime surtout la campagne. Mes plus beaux souvenirs de cette période, ce sont les deux week-ends que nous avons passés en Normandie, à Lisieux chez un de mes amis. Je le connais depuis presque vingt ans, nous habitions dans le même immeuble à Paris. Nous avions sympathisé un jour où j’essayais d’ouvrir ma porte, il m’avait proposé son aide, et comme il parlait japonais, nous sommes devenus amis.
Je pense que la meilleure façon de connaître la France est de passer du temps dans une famille, à observer comment on cuisine, mange et vit ensemble. Je tenais à ce que ma fille et mon mari aient cette expérience chez cet ami. La première fois où nous y sommes allés, j’ai beaucoup beaucoup parlé, ça me faisait du bien, car je n’avais pas tutoyé quelqu’un en français depuis des mois.
Je rentre au Japon dans quelques jours, j’ai terminé ma mission à Paris. J’ai hâte de retrouver ma famille, qui est repartie à Tokyo cet été. Mon mari a repris son travail, et ma fille a fait sa rentrée pour son grand bonheur.
Je serai probablement amenée à repartir un jour, je ne sais pas où ni quand. Je sais juste que je demanderai à ma fille si elle veut venir avec moi ou rester avec son père. Et si elle me dit qu’elle a besoin de moi à Tokyo, j’y resterai, même si ce n’est pas toujours simple de décliner les missions.
Rien ne m’a manqué du Japon car ma famille était avec moi. Je n’ai besoin de rien d’autre.
La seule chose que je retrouve quand je suis dans mon pays, c’est la sérénité, je suis plus détendue. A l’étranger, quel que soit le pays, je suis sur la défensive en permanence. Une petite asiatique fait toujours une victime facile, surtout si elle est fatiguée.
A peine un mois après notre arrivée à Paris, on m’a volé mon portefeuille au K-mart, je l’avais laissé dans mon sac, pendu à la poussette. C’était le week-end de notre emménagement, je venais de retirer de l’argent, je n’avais jamais eu autant de liquide sur moi. Heureusement, nous avons pu payer l’école de ma fille avec la carte de mon mari.
Avant de partir, je vais acheter pas mal de livres en français pour ma fille, pour qu’elle continue à pratiquer le français. Et quelques petits cadeaux dont un pot de sel de truffe, car c’est autorisé contrairement au fromage et à la charcuterie.
A Tokyo, en plus de mon travail, je vais reprendre mon activité bénévole, pour continuer ce que j’avais commencé à faire. Pendant les deux années de mon congé parental, je m’étais sentie seule et coupée du monde du travail. C’est très courant à Tokyo, surtout pour les mamans dont les enfants ne vont pas encore à la maternelle. J’ai eu le temps de m’interroger sur le sens de ma vie et de réaliser que cultiver le lien entre le Japon et les autres pays était ma raison d’être.
Comme je parle anglais et français, j’ai eu envie de créer un réseau de mamans, un lieu d’échanges pour les parents étrangers vivant à Tokyo et ne parlant pas le japonais. Avant de venir à Paris, j’ai pu organiser pendant quelques mois des salons d'entraide, en français et en anglais. J’avais bien aimé être une ressource pour les autres, et maintenant que ma fille est plus grande, je réfléchis à comment faire pour relancer ce projet. Je cherche des gens pour m’aider, si cela tente quelqu’un ?
Merci à Kotimi de m'avoir présenté Shinobu, quelle bonne idée !
Comme moi, participez à #onigiriaction une campagne annuelle d’origine japonaise pour financer des cantines dans les écoles d’Asie et d’Afrique du Sud-Est.