Kentaro Sakai 堺 憲太郎
24 octobre 2022Masami Takenouchi 竹之内雅美
9 décembre 2022Mon mari me dit que je suis japonaise jusqu’au bout des ongles, mais bon, je traverse quand même n’importe où dans la rue !
Je m’appelle Sumie Masumura, je viens de la campagne japonaise, Fukui exactement. Je tiens le restaurant Okaasan à Marseille, où je propose de la cuisine japonaise familiale, sans sushi ni sashimi.
Quand j’étais au Japon, j’étais styliste et je confectionnais des vêtements pour animaux. A mon arrivée en France en 2005, j’ai démarché quelques salons de toilettage sans succès, il n’y avait pas de marché pour ça.
J’ai continué quelque temps à vendre en ligne au Japon, mais très vite, j’ai cherché quoi faire sur place. J’avais plein de possibilités, enseigner le japonais, faire des retouches, cuisiner... et comme ce que j’aimais le plus était faire la cuisine, je me suis lancée dans la vente à emporter.
Mais j’avais très envie d’avoir mon restaurant. Un jour, par hasard, en passant ici rue des trois roi, j’ai remarqué ce pas de porte, qui était libre et qui surtout, n’avait pas de bail.
Mon mari s’est renseigné, et trois mois après, nous avons ouvert notre restaurant. C’était en avril 2009, un jour de pleine lune, car au Japon, commencer quelque chose ce jour-là est une promesse de succès.
Nous avons eu trois clients le premier jour, six le deuxième, douze le troisième et après, c’était parti. Nous avons une bonne clientèle et beaucoup de clients fidèles.
Pendant la période de négociation, je suis passée dans la rue tous les jours, le midi et le soir, pour repérer les habitudes des gens. C’est un quartier qui vit le soir, alors nous avons commencé par ouvrir en soirée et le week-end.
Depuis la naissance de ma fille, pour vivre à son rythme, nous travaillons le midi en semaine et le soir en week-end. Avant le confinement, nous avions jusqu’à cinq employés en renfort. Les gens ont changé leurs habitudes, maintenant nous avons juste quelqu’un le week-end.
Je n’ai pas fait d’école de cuisine, j’ai appris avec ma mère et en travaillant dans des restaurants quand j’étais étudiante. J’ai juste suivi un stage pour savoir faire des udon, c’était sur l’île de Shikoku où c’est la spécialité. J’aime bien en faire quand je suis de bonne humeur.
J’aimerais aussi apprendre à faire les soba, qui sont plus de ma région. Peut-être l’été prochain ? On trouve moins ce type de pâtes en France en dehors de Paris, les ramen sont plus à la mode.
Je suis venue en France pour la première fois à vingt-deux ans, seule. J’ai fait une école de mode, alors Paris, ça m’attirait. J’étais trop heureuse d’être là, dans cette ville qui me faisait tant rêver, à juste marcher et découvrir tous les quartiers.
Je suis revenue à chaque vacance. Quelques années après, je suis restée une année entière à Nice pour étudier le français. En fait, j’avais très envie de vivre en France.
Par l’intermédiaire d’une amie, j’ai rencontré mon mari qui habitait à Marseille. Nous nous sommes mariés au bout de quelques années, et je suis venu habiter ici. Rien ne m’avait étonnée lors de mon premier séjour à Paris, mais à Marseille, j’ai eu quelques surprises : les murs tagués (au Japon c’est criminel), les gens presque nus l’été en ville (les hommes en caleçon et les femmes avec le soutien gorge qui dépasse), les amis qui ne viennent pas toujours au rendez-vous…
J’aime beaucoup vivre ici. Il y a moins de stress, je n’ai plus l’impression d’être observée par tout le monde. Les gens sont très gentils quand on a des enfants, ils nous aident dans les transports en commun à porter la poussette, ce qui n’est pas vraiment le cas au Japon.
Et surtout, il y a la cantine ! Pas de joli bento à faire chaque jour, car c’est une vraie compétition entre les mamans au Japon, ça en devient fatigant.
J’aime aussi le rythme des vacances en France, c’est bien de pouvoir se reposer régulièrement. L’été je rentre au Japon et nous visitons la France durant les autres vacances.
Mon mari me dit que je suis japonaise jusqu’au bout des ongles, mais bon, je traverse quand même n’importe où dans la rue ! Il y a certaines choses qui m’agacent en France, par exemple au supermarché, les caissières ne sont pas toujours aimables et les personnes qui doublent dans la file m’étonneront toujours.
C’est la nourriture qui me manque le plus du Japon, certains ingrédients comme le mioga, du gingembre japonais qu’on peut d’ailleurs trouver en France je crois. En automne, il y a le kyoho budo, un sorte de gros raisin noir dont la liqueur est un délice, le boeuf wagyu, l’anguille…
Côté poissons c’est bien ici à Marseille, le porc français est bon et reste abordable, mais pour la viande de bœuf, c’est autre chose. J’ai beaucoup cherché comment la rendre plus tendre en la cuisinant. J’aime bien faire mijoter les plats, c’est plus mon truc que le wok. Par exemple, le mijoté de porc caramélisé ou les boulettes de bœuf panées, que je recommande à mes clients réguliers.
J’aimerais retourner vivre au Japon pour la retraite, quand ma fille sera grande. Acheter et retaper une maison traditionnelle quelque part à la campagne, y cultiver des légumes.
De la France, j’apporterai que des choses à manger, du fromage, du vin, du champagne, de la charcuterie, et même du chocolat.
En attendant, je continue de faire ma cuisine traditionnelle japonaise en France.
Okaasan, 9 rue des Trois Rois, Marseille