Ayumi Iuchi 井内亜裕未
3 avril 2022Masui Chiaki 益井千明
24 mai 2022J’apprécie beaucoup le temps ici à Toulouse, j’aime le soleil et l’été, les jours sont longs, contrairement au Japon où il fait nuit à six heures.
Je suis une vraie tokyoïte de Tokyo.
Jeune, j’ai vécu à Pékin avec mes parents, et plus tard, j’y ai rencontré mon ex mari, qui est toulousain. Nous avons habité à New York puis à Tokyo où nous nous sommes mariés. Au bout d’un an, il en a eu marre de cette vie en ville, nous avons déménagé à Toulouse.
Quand je suis arrivée ici il y a seize ans, je ne connaissais rien à la France, c’était la première fois que je venais dans ce pays. Je ne parlais pas du tout le français, zéro ! Alors la première chose que j’ai faîte a été de m’inscrire à l’Alliance Française où j’ai suivi des cours intensifs pendant six mois.
Mon plus gros choc a été de voir que tout était fermé le dimanche, les magasins, les restaurants… Sauf le marché où j’allais chaque semaine. C’était un gros changement pour moi qui avais toujours habité dans de grandes villes.
J’étais aussi surprise que les gens me parlent tout naturellement en français. Avec ma tête d’asiatique, je m’attendais à autre chose. C’est comme ça que j’ai découvert qu’il y avait des asiatiques français.
Mon mari étant cuisinier, il a ouvert son restaurant en centre ville, un restaurant de spécialités locales. Après mes six mois de cours à l’Alliance, je l’ai rejoint au restaurant. J’avais travaillé dans la restauration d’hôtellerie, c’était mon métier après mes études de chinois à l’université.
J’ai arrêté quand j’ai été enceinte. J’ai eu trois enfants en cinq ans.
J’ai repris le travail quand nous avons ouvert un deuxième restaurant, juste à côté du premier, « Le petit magre ». J’y travaillais avec Keiko, une chef japonaise qui cuisinait français avec une touche de Japon. L’après-midi, on faisait salon de thé. Nous avons eu beaucoup de succès, les gens venaient pour notre spécialité, la gaufre à la chantilly.
Quand nous nous sommes séparés, « Le petit magre » a été vendu, il m’a fallu retrouver un travail.
Mon rêve était depuis longtemps d’ouvrir un restaurant de bento. C’était déjà la mode des sushis en France mais moi, j’avais envie de proposer quelque chose de plus simple, une cuisine japonaise du quotidien, celle que je faisais à mes enfants.
Alors quand une amie japonaise m’a proposé de reprendre son emplacement au marché Saint Cyprien de Toulouse, j’ai tout de suite accepté.
J’ai ouvert Tchaco Deli en plein hiver, le treize février exactement, je m’en rappelle encore. J’étais arrivée très tôt, à 7h, tellement j’étais stressée. Il faisait très froid. J’étais perdue dans cette ambiance très virile de marché, même si maintenant j’aime beaucoup. Je suis moins timide qu’au début. Aujourd’hui, je réponds et je ne me laisse pas faire.
Après quatre années, ça marche plutôt bien. Je fais aussi de la vente à emporter et traiteur lors de soirées japonaises dans des bars et d’autres évènements en lien avec le Japon.
Avant la Covid, je rêvais d’ouvrir mon restaurant, mais aujourd’hui, je suis très bien où je suis, même si c’est six jours sur sept. J’ai toute mes soirées et je travaille seule, c’est une grande liberté en fait.
J’apprécie beaucoup le temps ici à Toulouse, j’aime le soleil et l’été, les jours sont longs, contrairement au Japon où il fait nuit à six heures. J’aime la mer, aller à la plage et me baigner tôt le matin, dîner tard avec les amis.
Un de mes meilleurs souvenirs, ce sont les fêtes de Bayonne. Mon mari m’y avait amenée au début, quand nous n’avions pas encore les enfants. Nous avions campé pendant trois jours, c’était génial, plein d’énergie et de passion, avec tout le monde habillé en blanc et rouge.
La nourriture en France est très bonne, il y a beaucoup de fruits et de légumes, ils sont meilleurs qu’au Japon et bien moins chers. Il y a aussi les produits laitiers, les magasins bio, et les produits de beauté. Malgré ça, la nourriture de mon pays me manque, comme la grande variété de poissons frais.
Il y a quand même des choses que je n’aime pas en France, à commencer par la conduite et les queues de poisson. Dans les magasins, à La Poste, les gens ne sont pas toujours aimables, ni très efficaces. Je ne parle même pas de l’administration. Ce n’est jamais leur faute, quand ils ne me raccrochent pas au nez.
J’ai vécu avant au Japon et en Chine, je peux comparer, et la France parfois, ce n’est pas très propre, surtout les crottes de chien sur le trottoir. Au début, je faisais très attention, mais maintenant ça s’est amélioré.
Ce qui me touche, ce sont les papis et les mamies, ils sont toujours très chics et très souriants.
Mon premier client d’ailleurs, c’était un papi. Avant d’ouvrir le stand, j’avais fait une semaine de travaux. Un jour, j’ai trouvé un portefeuille, j’ai contacté son propriétaire pour le lui rendre. C’était un papi de quatre-vingts ans, un habitué du marché où il venait tous les jours. Il m‘a donné vingt euros pour me remercier, pour acheter des bonbons aux enfants. Cela m’a vraiment touchée.
Quand j’ai ouvert Tchao Deli, il a été le premier à m’acheter un bento, je suis sûre qu’il n’avait jamais mangé japonais de sa vie. Je ne le vois plus hélas.
Je ne pense pas que je repartirai habiter un jour au Japon, et si ça devait arriver, ce ne sera pas à Tokyo, plutôt en bord de mer.
Par contre, je continue d’y aller pour les vacances. J’aimerais bien un jour faire le tour du pays en camping-car. Car finalement, je ne connais pas si bien mon pays, je ne connais que Tokyo.