Yuriko Brehin-Tanaka ブレアン田中由里子
1 mai 2021Tomoko et Masaki Yamamoto 山本正樹 朋子
9 juillet 2021Des fois je rêve en français. Mais je me sens plus japonaise que quand j’étais au Japon.
Je m’appelle Tomono Iida, j’ai trente-sept ans, j’habite à Limoges.
La première fois que je suis venue en France, c’était en 2004 pour mes études. Au lycée, j’avais choisi le français comme langue secondaire, parce que c’était la langue des romantiques. Pour tout vous dire, au début, cela ne m’a pas énormément plu.
Quand je suis entrée à l’université, je me suis interrogée sur ce que je voulais faire. J’étais spécialisée en anglais, mais je ne voyais pas quel métier faire avec. Je me disais que la culture française était plus vaste, plus profonde, qu’il y avait plus d’opportunités entre les arts, la littérature, la gastronomie…
J’ai donc opté pour la littérature française. Mon université était jumelée avec l’université de Limoges, je suis venue faire mon master en France. Le sujet de mon mémoire était Romain Gary, il me fascinait.
Après ces deux années, une fois diplômée, je suis rentrée au Japon où j’ai travaillé comme assistante à au sein de mon université à Tokyo.
Mon copain était en France, nous nous étions rencontrés à Limoges. Au bout de trois ans à distance, nous nous sommes dit qu’il fallait décider, habiter ensemble ou arrêter.
A ce moment-là, il y a eu la catastrophe de Fukushima. Ça a changé ma vie, je me suis posée beaucoup de questions, me demandant ce qui était important pour ma vie. Et j’ai décidé de rejoindre mon ami en France.
Lui il travaillait à Paris, il avait le projet de retourner vivre à Limoges, sa région natale.
Voilà comment je suis arrivée ici en 2012. Nous ne voulions pas nous marier, mais c’était plus simple du point de vue administratif.
Il s’inquiétait pour moi, il pensait que trouver un travail équivalent à celui que j’avais au Japon serait difficile. Moi, j’étais partante pour apprendre quelque chose en lien avec les traditions locales. J’ai donc fait un CAP d’émailleur d’art sur métaux.
En 2013, je me suis lancée en tant qu’artisan pour créer des bijoux en émail.
J’avais mon atelier, je vendais dans les marchés d’artisanat et en ligne sur Etsy. Je vendais aux Etats Unis, en Angleterre, un peu en Allemagne, peut-être parce que la plateforme est plus développée là-bas ?
Malheureusement, ce n’était pas suffisamment pour en vivre, ce n’était pas gagné.
Quand j’ai eu mon fils, j’ai décidé de faire une pause. Travailler avec un bébé ce n’est pas simple, et en plus, il y a du plomb dans les émaux. J’ai abandonné mon local, et aujourd’hui, je vends mon stock toujours sur Etsy.
Je voulais travailler, être femme au foyer ne me convenait pas.
Alors, je me suis lancée dans la traduction, j’ai trouvé des petits boulots, cela m’a plu. Par exemple pour des entreprises japonaises qui souhaitent vendre leurs produits en France. J’ai même traduit un livre pour les enfants, du français vers le japonais.
Je n’ai pas de diplôme de traducteur, sur les sites de free-lance où je cherche du travail, on est mal payé. Je voulais quelque chose de plus officiel, j’ai postulé pour être traducteur assermentée à la cour d’appel de Limoges. Je viens juste de recevoir mon agrément, je suis très contente.
Je traduis des dossiers pour les démarches administratives, pour des japonais qui veulent vivre en France ou vice versa. Une fois assermentée, je peux travailler partout en France.
J’aimerais développer cette activité de traduction, et plus tard, je continuerai mes créations de bijoux.
Quand je suis arrivée en France en 2004, j’ai passé un mois à Chambéry pour perfectionner mon français avant de commencer la fac. Je suis arrivée là parce que c’était l’école la moins chère, mais c’était le bout du monde, pas vraiment pratique pour aller à Limoges après.
C’était pendant les vacances d’été, les petits commerces étaient fermés, cela m’a surpris. Au Japon, pendant les vacances et les jours fériés, tout est ouvert, c’est le moment où on fait du shopping. Alors qu’en France, pendant les vacances, entre midi et deux, on ne travaille pas, on se repose.
J’aime le Japon, c’est mon pays, mais il y a beaucoup de codes dans la vie. Je faisais très attention au regard des autres. Au travail avec mon chef, je ne pouvais pas tout dire, par respect à son égard. Ici je m’en fiche, j’aime je n’aime pas, je peux m’exprimer comme je veux, je me sens plus libre.
Des fois je rêve en français. Mais je me sens plus japonaise que quand j’étais au Japon.
Au début, je voulais m’intégrer complètement, pour cela j’ai comparé les différences entre les deux pays. J’ai essayé de devenir française, et finalement, je suis plus japonaise qu’avant.
Ce sont des petits choses du quotidien qui me font ressentir cela. La façon d’élever des enfants par exemple. Au parc, je dis à mon fils quand il se dispute avec les autres enfants : « Il faut respecter les autres, ce n’est pas bien de se mettre en colère, il faut être gentil ». Peut-être que je me trompe, mais en France il faut savoir dire non, s’exprimer quand on n’est pas content.
Mon mari, il est complètement français, il lui dit « Si quelqu’un te tape, tu le tapes » alors que je lui dis le contraire, pour éviter la violence.
Dans les magasins, dans les administrations, je trouve que les gens ne sont pas toujours responsables, des fois ils s’en fichent même. On me dit « ce n’est pas moi qui m’en occupe », « je ne sais pas » sans m’aider plus que ça.
Au Japon, le client est roi, on rend service spontanément. C’est peut-être dans notre nature ou c’est pour bien faire son travail ? C’est un peu trop parfois, j’ai même mal au cœur pour les japonais qui travaillent tant.
Quand on rentre dans une boutique, c’est le vendeur qui dit bonjour, il y a tout un protocole qu’on apprend dans les manuels. Ici en France, c’est le client qui dit bonjour, c’est mieux en fait. On peut aussi ne pas dire bonjour, même faire la gueule, c’est ce que je remarque.
Un de mes plus beaux souvenirs en France, c’est quand mes parents sont venus pour la première fois à Limoges rencontrer mes beaux-parents. Ils sont très japonais, ils ne voyagent pas et sont moins intellectuels que moi. Mon frère et ma sœur sont aussi comme ça, ils étaient tous surpris que j’aille à l’université.
Mais ils m’ont toujours laissé choisir, les études, venir en France. Je sais que c’est dur pour eux que je sois loin. Ma mère me disait « S’il y a un problème entre les pays, nous ne pourrons plus nous voir ». Elle avait finalement raison, avec le virus, c’est un peu ce qui arrive. Ils travaillent encore, alors en général, c’est moi qui vais les voir, deux fois par an, l’été et l’hiver.
J’ai eu envie de faire la photo dans les jardins de l’évêché. J’ai habité au foyer des étudiants juste à côté, je venais souvent. Maintenant, j’y amène mon fils.
Être anonyme me manque. Je viens de Yokohama, c’est une grande agglomération. Limoges est une petite ville, même si on ne se connaît pas, on se connaît un peu, je rencontre souvent des copines de copines. Quand on va à la mer à Royan, on croise toujours une connaissance.
Je ne pense pas revenir un jour habiter au Japon, j’y vais deux fois par an, cela me suffit. Yokohama, c’est bien quand on est jeune, mais en prenant de l’âge, c’est moins bien.
Mon mari voudrait habiter au Japon quand nous serons plus âgés, à Yokohama justement. Il me parle d’Okinawa, mais il n’y a jamais été. Moi je pense que ce serait compliqué. Le Japon, c’est dur pour travailler.
Dans tous les cas, j’emmènerai mon mari et mon fils, et le concept de la cuisine française. Au Japon, celui qui cuisine est absent du repas, on mange sans lui. En France, les plats sont souvent cuits au four, alors on peut manger tranquille tous ensemble, en discutant. C’est très français ce moment partagé, cela me plaît comme idée.
C’est Yuriko Brehin-Tanaka qui a invité Tomono à participer au projet. Merci Yuriko !
Les bijoux de Tomono sont sur Etsy. Pour les traductions, c’est sur Facebook et sur son site.