Sosei Omi 尾美宗静
17 juillet 2023Naoko Takeda 直子
13 septembre 2023J’aime être étrangère quelque part, cela me permet de découvrir des choses et d’accepter d’être différente des autres.
Je suis japonaise, j’ai grandi dans l’Ouest de Tokyo. Je suis arrivée en France cela fait déjà longtemps, j’avais vingt huit ans. J’ai vécu pour l’instant la plus grande partie de ma vie dans mon pays, mais bientôt, ce sera le contraire.
Je suis chargée de production audiovisuelle, j’organise et je coordonne des tournages pour le compte de sociétés de production étrangères, surtout japonaises.
J’ai étudié les sciences politiques dans la campagne de l’Illinois aux Etats Unis, c’était le premier pays étranger où j’allais. J’y ai découvert une culture et des valeurs complètement différentes de celles de mon pays.
Cela m’a fait réaliser deux choses : que je ne connaissais pas si bien le Japon et que je n’y resterais pas toute ma vie, même si je suis fière de mon pays et que je l’aime beaucoup. Je trouvais dommage de ne pas voir et vivre autre chose.
Je suis rentrée au Japon après mon diplôme universitaire, pour ré-apprendre ma culture et terminer mes études. J’ai ensuite travaillé quelques années comme commerciale dans une maison d’édition spécialisée culture et spectacles. Je m’occupais de la billetterie pour le théâtre. J’ai adoré ces années, je sortais plusieurs fois par semaine, au théâtre, au cinéma, dans des concerts. C'était pour le boulot et par plaisir.
Quand j’ai eu suffisamment d'argent, j’ai décidé de venir en France. Pour mon deuxième pays, j’hésitais entre New York, Londres et Paris, car je voulais une grande ville. J’ai finalement choisi Paris, même si je n’y étais jamais allée et que je parlais peu le français.
De l’Europe, je connaissais vaguement l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, visités lors de mon voyage de fin d’études.
Au Japon, j’avais quelques amis français. L’un d’entre eux m’a hébergée à mon arrivée à Paris. Je m’en souviens encore, c’était le premier jour de la coupe du monde de football en 1998.
J’ai été accueillie dans un deux pièces par quatre mecs scotchés devant la télé en train de regarder le match d’ouverture, et sans aucune attention pour moi. J’avais trouvé cela bizarre. Maintenant, nous en rions ensemble.
J’ai galéré au début avec la langue et pour le logement, même si les premiers mois je louais un studio aux parents d’un autre copain.
J’ai étudié le français pendant deux ans, puis j’ai voulu devenir photographe. J’ai été en stage dix huit mois dans un studio photo.
Je me sentais limitée par mon niveau de français pour me lancer. Alors je me suis inscrite en sciences politiques à l’université Paris 8, et grâce aux cours que j’avais suivis à l’Alliance Française, j’ai pu entrer en maîtrise directement.
J’ai commencé à faire des petits boulots en parallèle, comme journaliste pour un magazine japonais.
Un jour, une société de production audiovisuelle japonaise m’a contactée pour organiser un tournage, je n’avais pas cette expérience mais je me suis dit pourquoi pas.
Depuis, j’en ai fait mon métier. Je travaille surtout pour des chaînes privées japonaises, comme Nippon TV, TBS, TV Tokyo et WOWOW. J’ai eu à organiser quelques tournages au Japon pour la télé française et je fais parfois des traductions.
Je travaille en indépendante depuis quinze ans. J’ai monté ma boîte de production récemment, Tokai Productions, c’est plus simple pour organiser les gros évènements, comme pour la coupe du monde de rugby en 2023 et les JO 2024 à Paris.
Ici, chacun est libre de dire ce qu'il pense, c’est ce que j’apprécie le plus. Peut-être que cette facilité de pouvoir dire les choses et la conscience d’avoir à protéger cette liberté d’expression est propre à la France ?
Au Japon, c’est autre chose, c’est plus compliqué d’exprimer son désaccord. Le bon côté, c’est que cela permet de préserver l’harmonie entre les gens et que c’est plus poli. Le mauvais, c’est le mensonge, car on n’en pense pas moins. Ici aussi il y a ces deux faces : la franchise peut parfois être malpolie.
J’ai réalisé tout cela quand j’étais aux USA. Un jour, j’ai vu sur le campus un gars qui portait un blouson en cuir en plein été. Cela m’avait choquée. Au Japon, c’est impensable de mettre un manteau à cette saison, c’est mal perçu. On change sa garde robe en juin et en octobre, tout le monde se plie à la règle. Je crois que cela vient de la tradition du kimono, à l’époque, il y avait des motifs pour chaque mois, en fonction de la saison.
Je suis une personne curieuse, j’aime rencontrer plein de gens et des endroits différents. C’est ce qui me plaît dans mon métier. En tant que journaliste, je suis la première à avoir les informations et j’ai accès aux sources ; je peux trier et choisir librement ce que j’en fais et comment je les partage.
J’ai toujours habité à Paris, j’aime cette ville. Et j’aime aussi les Français même si côté travail, ils m’énervent parfois : je ne comprends toujours pas comment on peut papoter avec ses collègues devant un client et le faire attendre.
Au Japon, les gens sont fiers de leur travail, même si c’est un petit boulot. Ils essaient toujours de faire de leur mieux et de s’améliorer. En France, je ne sais pas d’où vient ce manque de conscience ni pourquoi certains métiers sont si peu valorisés.
Par exemple, j’ai appris à mes dépends qu’il valait mieux confirmer les rendez-vous la veille. Dans mon pays, un rendez-vous pris même des mois à l'avance est toujours honoré, on n’a pas besoin de le rappeler.
On accorde plus de valeur à l’action qu’à la parole, on ne dit rien mais on agit, car ce qu’on fait nous fait. Ici il y peut y avoir beaucoup de paroles et parfois peu d’action.
Une autre différence est la culture de la réussite. En France, il y a la peur de l’échec et peu de deuxième chance alors qu’au Japon, on est encouragé à échouer pour apprendre. Même dans les mangas, les héros se plantent.
Depuis que je vis en France, je trouve que je deviens méfiante par rapport aux autres alors que nous les Japonais, on fait très naturellement confiance. J’ai appris à doubler dans les files, pas directement car j’aurais trop honte mais quand la queue est désorganisée, discrètement, je gagne quelques places. Une chose impossible à faire au Japon tant les files sont parfaitement alignées.
Mais la plus grande difficulté que j’ai eu, a été d'apprendre à exprimer clairement mes pensées, d’insister parfois en haussant le ton, notamment pour obtenir ce dont j’avais besoin. Au début je n’osais pas, je trouvais ça vulgaire. J’ai bien été obligée de m’y faire !
Quand je suis au Japon, j’apprécie de ne pas avoir besoin de ça, on se comprend sans les mots. Je crois que c’est ce qui me manque le plus. Il peut quand même y avoir des malentendus, finalement, ce n’est ni mieux ni pire.
Je ne pense pas un jour repartir vivre au Japon, ce serait trop difficile, je m’y sentirais décalée. En tant que femme japonaise, pourquoi souffrir si j’ai le choix de vivre ailleurs ? J’essaie d’y aller quand je peux, pour les vacances. Cela m’apaise de voir ma famille et mes amis, d’être plus moi-même.
Si j’avais à partir, je garderai en moi l’esprit français et mon cercle d’amis. C’est très agréable l’amitié façon française, s’appeler ou se voir souvent, c’est spontané, on ne se pose pas la question de déranger, c’est moins formel.
Je pense souvent que la France est un beau pays, pour son esprit et sa qualité de vie, il y a de très bons côtés comme pouvoir être soigné et éduqué plus facilement. Et surtout de pouvoir discuter de tous les sujets. Au lieu de râler, ce serait bien d’aller voir ailleurs, car c’est en partant de chez soi que l’on réalise la valeur de ce que l’on a.
Pour ma part, j’aime être étrangère quelque part, cela me permet de découvrir des choses et d’accepter d’être différente des autres.