Hiroshi Naruse 成瀬 弘
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23 novembre 2021Les gens me disent que je fais un peu français, que je suis plus ouvert que les Japonais qu’ils connaissent
Je suis né à Tokyo, à côté d’Asakusa-bashi, un quartier d’artisans situé entre Akihabara et Asakusa. Mon père a grandi là aussi, même s'il vient de Fukushima, comme ma mère. J’ai toujours habité en ville mais mon cœur est à la campagne, à Fukushima.
Je viens d’une famille d’artisans, mon père et mon grand-père fabriquaient des gants en cuir pour les joueurs professionnels de base-ball. Ils travaillaient à la maison. J’ai grandi dans l’atelier au milieu du cuir et des machines à coudre.
Mon père n’a pas voulu que je reprenne l’entreprise familiale, après la crise, les affaires étaient devenues difficiles, il pensait qu’il n’y avait plus d’avenir.
Faire avec mes mains, transmettre des choses que j’ai fabriquées a toujours été important pour moi. Ceci dit, je n’avais jamais pensé faire le métier que je fais aujourd’hui, je ne savais pas que je pouvais faire des choses qui pouvaient se vendre. Je n’y croyais pas vraiment.
Je n’ai jamais étudié la couture, coudre est à l’intérieur de moi, j’ai grandi avec ça. Jeune, je cousais même mes vêtements. J’ai toujours aimé la mode et le prêt à porter. Le couturier Yohji Yamamoto m’a beaucoup inspiré dans ma façon d’être comme dans mon travail.
Pendant treize ans, j’ai travaillé dans un magasin de tissus. Et un jour, ça s’est arrêté. Mon ami Yoshida était en France à cette époque, il m’a proposé de venir le voir. J’avais trente six ans et je n’étais jamais sorti du Japon, c’était l’occasion.
En plus, j’avais réussi à avoir une invitation pour le défilé de Yohji Yamamoto à Paris et quelques temps avant, j’avais rencontré à Tokyo des Français qui étaient devenus des amis. Alors, je n’ai pas hésité longtemps.
J’avais prévu de partir trois mois et de prendre un appartement à Paris. J’ai eu envie d’apprendre le français avant mon départ. Yoshida m’a recommandé l’école de langues où il avait été. Et là, j’ai rencontré Caroline, qui est devenue ma femme depuis. J’étais son premier étudiant au Japon, elle venait d’arriver dans le pays.
Je suis parti à Paris deux mois après, c’était en 2013. J’y ai finalement passé peu de temps. J’ai beaucoup voyagé, l’Angleterre, l’Autriche, l’Italie, la Suisse, la République Tchèque…. J’ai du rester à Paris un mois et demi. Je ne faisais rien de spécial, je me posais dans un parc pour lire, j’ai assisté à quelques concerts, je n’ai finalement pas beaucoup visité la ville. C’était impensable pour mes amis, mais moi, ça m’allait.
De retour à Tokyo, j’ai revu Caroline, on s’est mis ensemble quelques mois plus tard, et après notre mariage en 2015, nous nous sommes installés dans la maison familiale.
Quand notre fils Nao est né en 2017, nous avons réfléchi à notre mode de vie. L’éducation en France semblait plus adaptée à ce que nous recherchions, il y a moins de pression de réussite pour les enfants. On trouve des gens de tous horizons, il y a plus de diversité sociale et culturelle. Comme Nao est métis, nous avons pensé que ce serait mieux pour lui, tout comme grandir dans une ville plus petite.
Nous avions fixé notre départ à la rentrée des classes 2020, juste après les Jeux Olympiques, car je tenais à être bénévole. Nous devions nous installer à La Rochelle où Caroline avait trouvé du travail. A cause de la crise sanitaire, nous sommes partis avec quelques mois de retard, à l’automne 2020. Le contrat de Caroline ayant été annulé, nous nous sommes installés à Albi, où elle a sa famille et ses amis.
C’est finalement très bien comme ça, nous sommes très entourés et la ville est très agréable.
Dès le début de notre projet, je me demandais ce que j’allais faire comme travail une fois en France. Nous avions l’idée d’ouvrir une boutique pour vendre différents objets japonais.
A notre mariage, une amie nous avait offert des petits coussins faits avec des tissus de obi, les ceintures de kimono. L’idée nous a plu, nous avons cherché quelqu’un pour les fabriquer. Sans succès. Alors, j’ai acheté une machine et j’ai commencé à coudre, sans trop savoir où cela me mènerait. Voilà comment notre entreprise MONOYA TOKYO est née.
Nous avons d’abord vendu sur la plateforme etsy puis directement depuis notre site internet. Caroline s’occupe de la partie vintage et de la partie commerciale, et moi des créations. Nous recyclons d’anciens tissus traditionnels pour les transformer en différents accessoires (trousses, sacs, porte-monnaie, pochettes…).
A mon retour de Paris, j’avais trouvé un travail chez un tailleur de costumes puis j’ai rejoint une entreprise traditionnelle, Kawashima Orimono spécialisée dans les obi et dans le textile d’intérieur haut de gamme. J’y ai été commercial quelque temps. Après ça, j’ai travaillé comme vendeur dans une boutique de kimono d’occasion dans le quartier de Yanaka à Tokyo. Grâce à cette expérience, j’ai des relations pour chiner les tissus et les pièces qui me servent aujourd’hui dans mes créations.
Nous prévoyons de rentrer à Tokyo une à deux fois par an. Pour récupérer et démonter les kimonos, les remettre en rouleaux, préparer les doublures et tout ramener ici. J’ai gardé mon atelier chez ma mère, dans le Yanesen.
Je suis ici depuis peu, et pour l’instant, la France me va bien. La nature est belle, on mange bien, du pain, des fromages, du vin, de la viande…
Je trouve les gens plus sincères, avec plus de caractère. Au Japon, il y a toujours une distance entre les personnes, même en famille, c’est moins spontané. C’est encore plus marqué entre les générations.
Les Français font souvent les choses à l’arrache, vite fait, sans faire attention. J’aime bien ça, même si ce n’est pas ma façon de faire. Nous les Japonais, on a tendance à en faire trop.
Il y a vraiment une pensée commune au Japon, en général, tout le monde regarde dans la même direction. Par exemple, à mon avant-dernier travail, on m’avait demandé de couper ma queue de cheval et de raser ma barbe. J’ai négocié, j’ai coupé les cheveux mais j’ai gardé un peu de barbe.
En France, on peut prendre facilement des vacances et voyager pour pas trop cher. J’apprécie aussi d’avoir beaucoup d’amis ici à Albi, l’ambiance de la ville est chouette.
Et puis je me sens bien dans mon atelier, c’est lumineux, il y a beaucoup de bois, un peu comme au Japon.
Il n’y a pas grand chose qui me manque de mon pays, peut-être les ramen, la viande finement tranchée, et bien sûr le o furo.
Les gens me disent que je fais un peu français, que je suis plus ouvert que les Japonais qu’ils connaissent. Je ne me sens pas Français, mais je me sens un peu différent de mes compatriotes. J’aime faire les choses différemment. Les Japonais font très attention à leur apparence, les filles s’habillent un peu toutes pareil, il y a des mouvements de mode que tout le monde suit. Il suffit d’une bonne publicité pour que les gens se précipitent acheter la même chose.
Nous avons plein de projets. Des nouvelles créations, participer à des évènements dans la région pour exposer et rencontrer du monde, le marché de Noël à Toulouse, Jap in Tarn à Mazamet… Et puis, nous espérons aussi que la famille va s’agrandir très vite.
On verra comment la suite va se passer. Idéalement, nous aimerions pouvoir vivre la moitié de l’année ici, et l’autre moitié au Japon. Mais avec l’école, ça va être compliqué.
Nous avons toujours notre maison à Tokyo, nous sommes venus ici juste avec nos habits, le stock de tissus et ma machine à coudre.
Quand nous repartons au Japon, nous amenons toujours un stock de savon de Marseille liquide pour ma mère, et du bon chocolat. Je rapporterais peut-être un jour des vieux objets et des antiquités françaises, car j’ai un ancien client qui s’est proposé de les vendre au Japon, alors pourquoi pas. 明日は明日の風が吹く(demain soufflera le vent de demain !).
J'ai découvert Monoya Tokyo sur Instragam, ils m'ont plu, je les ai contacté.