Taichi Kotsuji 小辻太一
5 mars 2024Yuka Toyoshima 豊島由佳
15 juin 2024Après toutes ces années en France, je n’ai plus d’attachement pour le pays car je me sens citoyenne de la planète.
Je suis chanteuse lyrique, professeur de chant et comédienne de voix-off en japonais. Je suis arrivée en France il y a trente ans. J’ai vécu douze ans à Paris, puis j’ai atterri à Marseille.
Je suis venue ici pour perfectionner mon chant. La France a été un choix évident, tout simplement parce que mon professeur à l’université de musique au Japon était spécialiste de mélodies françaises. Avec elle, je chantais en français des chansons et des opéras, mais je ne parlais pas vraiment la langue.
Après avoir terminé mes études à l’école de musique, je suis restée à Paris. Une année de plus, et puis une année encore, et une autre…. A chaque fois, je reportais mon retour au Japon, c'était pour moi naturel de rester en France, je me sentais plus libre. Je n’ai jamais eu de nostalgie pour mon pays, j’y allais une fois par an, cela me suffisait.
J’ai été étudiante durant quelques années, tout en donnant des cours de chant et en animant une chorale, chose que je faisais déjà au Japon. Sur les conseils d’une amie d’Aix en Provence, j’ai passé un diplôme d’état de professeur de chant au Centre de Formation des Enseignants de la Musique et de la Danse à Aubagne.
Je faisais au début des allers retours depuis Paris, avant de m’installer à Marseille. J’ai enseigné dans une école de comédie musicale, à la Maîtrise des Bouches du Rhône, et à la Maison pour tous de Marseille.
Je voyage beaucoup depuis que je vis en France. J’aime découvrir les océans du monde car mon ex-compagnon m’a initié à la plongée. Pourtant, je suis née loin de la mer, à Yamanashi dans la région de Fuji-Yama. Jeune, la mer ne m’attirait pas plus que ça, même si j’ai toujours aimé être dans l’eau.
J’ai vu des baleines pour la première fois au Panama. A l’île Maurice, j’ai nagé avec les cachalots, une rencontre sous l’eau très émouvante. Plus récemment à Moorea en Polynésie, j’ai plongé avec les baleines à bosse. Seuls les mâles chantent, on les entend très fort sans les voir, on sent les vibrations. C’était magnifique, j’en ai pleuré.
Mon mari René Heuzey est très lié avec ces animaux. Il est un des plus grands cameramen marins du monde, il a été le chef opérateur du film Océan de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud. Il a fondé une association pour la protection des océans, Un océan de vie.
Nous faisons des clips sur les cachalots et les baleines à bosse pour sensibiliser les gens, René les filme sous l’eau et moi je chante. Toutes les occasions sont bonnes pour montrer nos productions, lors de festivals de films sous-marin par exemple. Nous avons eu plusieurs prix.
Après l’épisode du covid, j’ai décidé d’être encore plus libre, j’ai arrêté mes engagements d’enseignement. Je partage désormais ma vie entre Marseille, l’île Maurice et le Japon. Je donne quelques cours en ligne pour mes élèves particuliers et des stages de chant en fonction de là où je suis.
Au Japon, j’anime un stage “Libérez votre voix et votre corps”, où je propose de la danse libre. Sur ces mouvements, les participants vocalisent et chantent s'ils en ont envie. J’aimerais le faire en France mais je manque de temps.
Je donne aussi des concerts. Je commence par une relaxation, ce qui surprend le public, après je lance les images de mon mari et j’improvise mon chant. J’invite souvent les gens à participer. L’année dernière, nous avons animé ensemble une conférence musicale : René parlait de ses images, je traduisais en japonais et puis je chantais. Nous avons eu un super accueil de la part des enfants, du coup on aimerait développer ce format.
En montrant les films de mon mari et avec ma voix, j’aimerais faire prendre conscience que nous sommes en vie grâce à la nature, qu’on en fait partie, que nous devons vivre en harmonie avec elle, sans la dominer ni la détruire. En visitant les écoles, nous faisons passer ce message : Nous sommes la Nature.
Moi, je chante pour elle, pour faire monter les vibrations de la planète. Je chante dans les temples shintoïstes ou dans des lieux sacrés pour les purifier. Comme à Okinawa avec des amies guérisseuses, ou pour des groupes de prières, comme à Lourmarin en 2022 où j’ai chanté l’Ave Maria lors d’une cérémonie spirituelle pour le projet Aska.
Là, j’ai eu un déclic, pour la première fois je chantais avec mon âme, j’étais débarrassée de mon égo et du souci de bien me montrer.
Je suis parfois accompagnée par un pianiste japonais qui fait de l’improvisation, il est aussi guérisseur. Nous avons donné un concert en hommage au peuple légendaire des lémuriens.
Je suis venue en Europe et en France pour la première fois lors d’un voyage universitaire, je crois que j’avais visité sept pays d’un coup, comme on fait souvent au Japon. J’avais trouvé Paris sale, je n’en garde pas un bon souvenir.
Après toutes ces années en France, je n’ai plus d’attachement pour le pays car je me sens citoyenne de la planète. J’ai fait le vœu de voyager quand je veux où je veux il y a quelques années, et il s’est réalisé.
Je me laisse guider par la vie, mon chemin passe par le Japon en ce moment, j’y suis plusieurs mois par an. Je m’y sens très bien maintenant que je me suis libérée, j’arrive à rester moi même quel que soit l’endroit où je suis.
Je découvre de plus en plus son côté exceptionnel, la gentillesse des Japonais, c’est un pays atypique. Je comprends mieux les étrangers qui veulent y aller.
Il y a beaucoup de choses à apprendre du Japon. Les gens respectent les autres, même en situation extrême comme lors d’un tremblement de terre. En France, ils ne pensent qu’à eux. A mon arrivée à Paris, je me souviens d’un embouteillage place de l’Opéra, tout le carrefour était bloqué car chacun voulait passer à tout prix. Je n’avais pas compris ces comportements.
Avec mon mari, nous sommes de plus en plus nomades, mais quitter Marseille n’est pas à l’ordre du jour, car il y a sa famille qui est devenue la mienne. J’ai toujours ma valise pleine de produits japonais, mais rien de la France. Partout où nous allons, nous rencontrons des personnes merveilleuses et de beaux endroits. Et cela nous suffit.
Tout ce que je fais aujourd’hui, c’est pour la Nature et pour les êtres humains, pour qu’ils vivent en conscience et respectent le Vivant car nous sommes tous égaux. C’est désormais le sens de ma vie.