Chiharu Tanaka 田中千春
19 avril 2021Tomono Iida 飯田 智野
1 mai 2021La France m’apprend à avoir les pieds sur terre. Trouver un équilibre, ne pas être trop timide, ni trop fière.
Je m’appelle Yuriko, je viens de Osaka. Je vis en France depuis 2009, j’habite maintenant à Limoges. Je suis la maman de deux petits garçons et femme au foyer, mais plus pour longtemps.
Je couds tous les jours, pour moi et pour ma famille, et de temps en temps je suis interprète ou traductrice. Je travaille à partir de patrons achetés au Japon, mais dans l’avenir, j’espère faire tout moi-même pour pouvoir vendre mes créations.
Je n’avais aucune connexion avec la France avant de rencontrer ma meilleure amie et mon mari. J’ai habité onze années au Canada, j’y ai fait mes études et après j’y ai travaillé. Un jour, j’ai visité la ville de Québec, j’ai beaucoup aimé ce côté européen. J’avais même dit à mon amie japonaise qu’un jour, j’aimerais bien habiter en France ou dans un autre pays européen.
J’ai rencontré mon mari au mariage de la fille de ma meilleure amie au Canada. Nous avons eu une relation à distance pendant deux ans, et à la fin nous avons décidé que je le rejoigne en France en banlieue parisienne. Quand je suis arrivée, je ne parlais pas un mot de français.
J’ai étudié l’anglais au Japon puis je suis partie au Canada. Je voulais apprendre l’anglais et le design là-bas. Ma mère étant graphiste, mon rêve d’enfance était d’être styliste de mode ou graphiste comme elle. Après l’université de langues, j’ai fait les Beaux-Arts, avec une spécialisation dans le textile.
Pendant mes études, j’ai rencontré une prof de textile qui aimait ce que je faisais, elle m’a proposé cette orientation. Ma spécialité est la teinture et la sérigraphie sur textile. Je suis donc allée à l’université d’Halifax en Nouvelle Ecosse, j’ai pris des cours de stylisme, j’ai appris la base de la couture. Créer des vêtements, du design du tissu à des robes prêtes à porter est devenu ma passion.
Après mes études, j’ai travaillé en tant que couturière dans un atelier de retouches pour me perfectionner puis dans une entreprise qui confectionne des vêtements techniques pour des professionnels, j’étais assistante styliste.
Quand je suis venue en France, les seules choses que j’ai amenées, ce sont tous ces apprentissages. J’ai un atelier de couture à la maison avec des machines à coudre japonaises achetées ici. Hélas, je n’ai pas d’endroit pour la teinture, ni la sérigraphie.
Comme je ne parlais pas français en arrivant, cela a été difficile pour le travail, alors j’ai pris des cours de français pendant neuf mois. Après la naissance de mon premier fils, j’ai trouvé un job administratif. Lire des emails tous les jours m’a bien aidée à apprendre le français. Cela me plaisait bien, mais mon contrat s’est terminé. Puis, j’ai eu mon deuxième fils, et j’ai décidé de m’occuper de mes enfants.
Ma mère me disait de bien travailler pour avoir un bon boulot et mon indépendance. Elle a toujours travaillé beaucoup, c’est rare pour son époque, elle s’est battue pour arriver là où elle est. J’étais sûre de faire comme elle, de faire carrière, et j’ai changé d’avis, aujourd’hui je reste à la maison mais c’est mon choix.
Je crois qu’il y a plus de chances en France de trouver un emploi une fois que les enfants sont grands, je ne sais pas en fait.
Dans quelques jours, je reprends le chemin du travail dans une entreprise très connue de maroquinerie de luxe. Trois mois de formation, puis quinze mois de CDD, et peut être un CDI si je fais l’affaire.
C’est grâce au hasard de la vie. Mon fils a rencontré une japonaise dans un parc près de chez nous, elle travaille dans cette entreprise. Comme je suis japonaise, on s’est rencontrées, on a discuté, parlé couture, et elle m’a proposé de postuler dans son entreprise. J’ai passé tous les entretiens, je commence en Mai.
J’ai tendance à voir les bons côtés de la vie en France : la liberté, la possibilité de ne pas être comme les autres, d’avoir mes propres idées, les gens très portés sur la politique, les vacances, la belle nature, le temps qui passe plus doucement qu’au Japon. J’adore les campagnes en France, j’aime beaucoup les différences entre les régions. Chacune a son caractère qui la rend unique même si le Japon est aussi un peu comme ça. J’aime beaucoup de choses ici en fait, en plus de la gastronomie.
La France m’apprend à avoir les pieds sur terre. Trouver un équilibre, ne pas être trop timide, ni trop fière. Si je suis un peu trop sûre de moi, les français me le disent ironiquement. C’est bien de dire ce que l’on pense, et que ce soit ok même si c’est négatif. Les français, vous avez une façon bien à vous de le faire, avec sarcasme et ironie. Au Japon, on ne dit pas mais on n’en pense pas moins.
J’apprécie vraiment cet aspect de la France, si on ne nous dit rien, on ne grandit pas car on ne réalise pas ce qu’on fait.
C’est un beau pays qui préserve son histoire. On peut trouver des murs du 13ème siècle en plein Paris par exemple. Cela m’impressionne. Je crois que ça aide à avoir du goût et le sens artistique.
Par contre en arrivant, j’ai quand même été surprise par la saleté, désolée… même si je ne peux pas trop critiquer la France sur ce sujet après que mon pays ait décidé de jeter l’eau polluée de Fukushima dans la mer.
Et je suis toujours agacée dans les transports en commun de voir que les gens montent sans attendre que les autres descendent, ce n’est pas efficace. Il suffirait juste de patienter deux secondes !
C’est bien dommage, la France manque vraiment de courtoisie et de patience. Comme d’attendre de trouver une poubelle pour jeter ses déchets.
Mon premier voyage en France était pour faire la connaissance de ma belle-famille. Nous avons presque fait le tour de l’Ouest de la France. La Bretagne, les Charentes. J’en garde un bon souvenir.
Je me sens plus canadienne que française, peut-être parce que j’y ai vécu plus jeune. Je veux dire plus amicale, positive, dynamique, j’ai un peu perdu cela en France.
Mon mari me dit que je suis très japonaise. J’ai un côté perfectionniste, je ne fais jamais assez bien. Et que je ne demande pas grand-chose. Avant je n’y pensais même pas, je me pensais canadienne.
C’est la France qui me donne cette impression d’être japonaise. Au Canada, on juge moins, les gens sont très bons pour encourager les autres, ils s’en fichent des détails. Les canadiens sont plus ouverts je trouve. Rien à voir avec le Japon où le mental domine.
Mes parents m’ont rendu visite deux fois au Canada, je leur manque beaucoup mais ils sont contents pour moi.
Ils sont venus en France très récemment, mon deuxième fils était bébé. Mon père voulait absolument conduire, à 76 ans. Nous sommes allées en Bretagne pour voir mes beaux-parents, juste un jour. Après, nous avons visité la Fondation du peintre Foujita dans la vallée de Chevreuse et la cathédrale de Reims où il a été baptisé. Mon père a même conduit place de l’Etoile à Paris. Ce fut un mois inoubliable. Malheureusement, c’était la dernière fois en France pour lui, il ne peut plus marcher.
Du Japon, j’ai la nostalgie de ma famille, de mes amis et de la nourriture. Le poisson frais, les konbinis, pouvoir grignoter des onigiris et acheter des petites choses.
Peut-être j’y retournerai y vivre pour quelques temps. Pour mes parents, pour faire connaître une autre expérience à mes enfants. Mais je partirai avec un billet retour.
Le Canada ? Non, je ne pense pas, il fait trop froid. Ou peut-être Vancouver, il pleut beaucoup mais il fait plus doux et il y a beaucoup de japonais.
De la France, j’amènerai l’ironie, bien sûr (grand éclat de rire).
Yuriko m’a été recommandée par Kiriko Nozaki, elle m’a tout de suite invitée à lui rendre visite.